Discours au Congrès international de musique sacrée par Jean-Paul II (2001)
« La mise en œuvre des orientations du Concile Vatican II concernant le renouveau de la musique sacrée et du chant liturgique - en particulier dans les chœurs, les chapelles musicales et les Scholæ Cantorum - rend aujourd'hui nécessaire une solide formation des pasteurs et des fidèles sur le plan culturel, spirituel, liturgique et musical. »
Monsieur le Cardinal,
Chers amis,
1. Je vous salue cordialement, vous qui participez au Congrès international de Musique sacrée, exprimant ma vive gratitude aux autorités qui ont promu votre rencontre, le Conseil pontifical de la Culture, l'Académie nationale de Sainte-Cécile, l'Institut pontifical de Musique sacrée, le Théâtre de l'Opéra de Rome et l'Académie pontificale des Beaux-Arts et Lettres des Virtuoses au Panthéon. Je remercie tout particulièrement le Cardinal Paul Poupard pour ses aimables paroles de salutation.
Je suis heureux de vous accueillir, compositeurs, musiciens, spécialistes en liturgie et enseignants de musique sacrée, venus du monde entier. Vos compétences assurent à ce Congrès une réelle qualité artistique et liturgique, et une incontestable dimension universelle. Je souhaite la bienvenue aux Représentants qualifiés du Patriarcat oecuménique de Constantinople, du Patriarcat de l'Eglise orthodoxe russe et de la Fédération luthérienne mondiale, dont la présence constitue un appel stimulant à mettre en commun nos trésors musicaux. De telles rencontres permettront d'avancer sur le chemin de l'unité à travers la prière qui trouve une de ses plus belles expressions dans nos patrimoines culturels et spirituels. Je salue enfin avec respect et reconnaissance les Représentants de la Communauté juive qui ont bien voulu apporter leur expérience spécifique aux spécialistes de la musique sacrée chrétienne.
2. « Le chant de louange qui résonne éternellement au ciel et que Jésus Christ, souverain prêtre, a introduit dans cette terre d'exil, a toujours été continué par l'Église au cours des siècles, avec constance et fidélité, dans la merveilleuse variété de ses formes ». La Constitution apostolique Laudis Canticum, par laquelle le Pape Paul VI promulguait en 1970 l'Office divin, dans la dynamique du renouveau liturgique inauguré par le Concile Vatican II, exprime d'emblée la vocation profonde de l'Eglise, appelée à vivre le service quotidien de l'action de grâce dans une continuelle louange trinitaire. L'Église déploie son chant perpétuel dans la polyphonie des multiples formes d'art. Sa tradition musicale constitue un patrimoine d'une valeur inestimable, car la musique sacrée est appelée à traduire la vérité du mystère qui se célèbre dans la liturgie (Cf. Sacrosanctum Concilium, n. 112).
Dans la suite de l'antique tradition juive (Cf. 1 Ch 16, 4-9.23; Ps 80), dont le Christ et les Apôtres étaient nourris (Cf. Mt 26, 30; Ep 5, 19; Col 3, 16), la musique sacrée s'est développée au long des siècles sur tous les continents, selon le génie propre des cultures, manifestant le magnifique élan créateur déployé par les diverses familles liturgiques d'Orient et d'Occident. Le dernier Concile a recueilli l'héritage du passé et réalisé un travail systématique précieux dans une visée pastorale, consacrant à la musique sacrée tout un chapitre de la Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium. Du temps du Pape Paul VI, la Sacrée Congrégation des Rites a précisé la mise en oeuvre de cette réflexion par l'Instruction Musicam sacram (5 mars 1967).
3. La musique sacrée est partie intégrante et nécessaire de la liturgie. Le chant grégorien, que l'Église reconnaît comme le « chant propre de la liturgie romaine » (ibid., n. 116), constitue un patrimoine spirituel et culturel unique et universel, qui nous a été transmis comme l'expression musicale la plus limpide de la musique sacrée, au service de la Parole de Dieu. Son influence fut considérable sur le développement de la musique en Europe. Les travaux savants de paléographie de l'Abbaye Saint-Pierre de Solesmes et l'édition de recueils de chant grégorien, encouragés par le Pape Paul VI, la multiplication des choeurs grégoriens, ont contribué au renouveau de la liturgie et de la musique sacrée en particulier.
Reconnaissant la place éminente du chant grégorien, l'Église se montre aussi accueillante aux autres genres musicaux, notamment la polyphonie. Il convient cependant que ces diverses formes musicales puissent « s'accorder avec l'esprit de l'action liturgique » (ibid.). Dans cette perspective, l'oeuvre du maître de la polyphonie classique, Pier Luigi da Palestrina, est particulièrement évocatrice. Son inspiration fait de lui le modèle des compositeurs de musique sacrée, qu'il a mise au service de l'action liturgique.
4. Le vingtième siècle a vu se développer, surtout dans sa seconde moitié, la culture du chant religieux populaire, selon le voeu du Concile Vatican II qui demandait de le « promouvoir de façon avisée » (ibid, n. 118). Ce type de chant demeure particulièrement apte à favoriser la participation des fidèles, non seulement aux exercices de dévotion, mais aussi à l'action liturgique elle-même. Il requiert de la part des compositeurs et des poètes des qualités créatrices, pour ouvrir le coeur des croyants à la densité expressive de la parole, dont la musique est la servante. Il en va de même pour la musique traditionnelle des peuples, pour laquelle le Concile a manifesté une grande estime, demandant que lui soit accordée « la place qui lui convient, aussi bien en éduquant le sens religieux de ces peuples qu'en adaptant le culte à leur génie » (ibid, n. 119).
Lien d'unité et d'expression joyeuse de la communauté en prière, le chant populaire favorise la proclamation de la même foi et confère aux grands rassemblements liturgiques une incomparable solennité empreinte d'intériorité. Tout au long du grand Jubilé, j'ai eu la joie de voir et d'entrendre les nombreux fidèles réunis sur la Place Saint-Pierre célébrer d'une même voix l'action de grâce de l'Église. Je redis donc ici ma reconnaissance envers tous ceux qui ont été les artisans des célébrations jubilaires: la mise en oeuvre des ressources de la musique sacrée, notamment au cours des célébrations pontificales, a été exemplaire. Le chant grégorien, la polyphonie classique et contemporaine, les chants populaires, au premier rang desquels l'Hymne du grand Jubilé, ont permis des célébrations liturgiques ferventes et de qualité. Le répertoire pour orgue et la musique instrumentale ont aussi trouvé leur place dans les célébrations jubilaires, et ont magnifiquement contribué à l'union des coeurs dans la foi et la charité, par delà la diversité des langues et des cultures.
L'année du Jubilé a également vu fleurir de nombreuses initiatives culturelles, en particulier des concerts de musique religieuse. Cette expression musicale, qui est comme une extension de la musique sacrée proprement dite, est particulièrement significative. En ce jour où nous célébrons le centenaire de la mort du grand compositeur Giuseppe Verdi, largement tributaire de l'héritage chrétien, je tiens à remercier les compositeurs, les chefs d'orchestre, les musiciens, les interprètes et les responsables de sociétés, d'organismes et de sociétés lyriques, pour le soin mis à promouvoir un répertoire culturellement élevé, porteur des grandes valeurs liées à la Révélation biblique, à la vie du Christ et des saints, aux mystères de la vie et de la mort célébrés par la liturgie chrétienne. La musique religieuse jette des ponts entre le message du salut et les hommes qui, sans adhérer encore pleinement au Christ, sont sensibles à la beauté, car « la beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance » (Lettre aux Artistes, n. 16), permettant un dialogue fécond.
5. La mise en oeuvre des orientations du Concile Vatican II concernant le renouveau de la musique sacrée et du chant liturgique - en particulier dans les choeurs, les chapelles musicales et les Scholæ Cantorum - rend aujourd'hui nécessaire une solide formation des pasteurs et des fidèles sur le plan culturel, spirituel, liturgique et musical. Elle appelle aussi une réflexion approfondie pour définir les critères de constitution et de diffusion d'un répertoire de qualité, permettant à l'expression musicale de servir de manière appropriée sa fin ultime qui est « la gloire de Dieu et la sanctification des fidèles » (Sacrosanctum Concilium, n. 112). Cela vaut en particulier pour la musique instrumentale. Bien que l'orgue à tuyaux demeure l'instrument par excellence de la musique sacrée, les compositions musicales intègrent aujourd'hui des formations instrumentales toujours plus diversifiées. Je souhaite que cette richesse aide l'Eglise en prière, pour que la symphonie de sa louange s'accorde au diapason du Christ Sauveur.
6. Chers amis musiciens, poètes et liturgistes, votre concours est indispensable. « Combien de compositions sacrées ont été élaborées, au cours des siècles, par des personnes imprégnées du sens du mystère! D'innombrables croyants ont alimenté leur foi grâce aux mélodies qui ont jailli du coeur d'autres croyants et qui sont devenues partie intégrante de la liturgie, ou du moins concourent de manière remarquable à sa digne célébration. Par le chant, la foi est expérimentée comme un cri éclatant de joie et d'amour, une attente confiante de l'intervention salvifique de Dieu » (Lettre aux Artistes, n. 12).
Certain de votre coopération généreuse à la conservation et à l'accroissement du patrimoine culturel de la musique au service d'une liturgie fervente, lieu privilégié d'inculturation de la foi et d'évangélisation des cultures, je vous confie à l'intercession de la Vierge Marie, qui a su chanter les merveilles de Dieu, et je vous accorde, ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers, une affectueuse Bénédiction apostolique.