Quelques commentaires du discours du pape
Commentaire de Philippe Barras.
Le discours, relativement court, que le pape François a adressé aux participants du Congrès international de musique sacrée, à l’occasion du cinquantenaire de la publication de l’Instruction Musicam sacram, revêt un intérêt majeur à mes yeux. A la suite de ses prédécesseurs, en particulier depuis St Pie X [1], il situe la musique liturgique essentiellement comme facteur de participation pleine et entière des fidèles à l’action liturgique, y compris – et c’est là, me semble-t-il, le point important – dans le cadre du rapport complexe qu’entretient ladite musique avec la culture contemporaine [2]. Cela demande de bien comprendre ce que le dernier Concile a voulu entendre par « participation active », et c’est ce que précise le pape : elle consiste à savoir entrer profondément dans le mystère de Dieu sauvant son peuple par la mort et la résurrection du Christ, et donc « à savoir le contempler, l’adorer et l’accueillir, à en percevoir le sens ». Et la musique apparaît alors un secours précieux pour aider à entrer dans ce mystère, à en percevoir la profondeur et à le « sentir » avec tous les sens.
Cela demande aussi de bien comprendre la relation complexe que la liturgie entretient avec la culture contemporaine environnante. Cette question a agité et agite encore la réflexion chez nombre de musiciens d’Église : faut-il une musique à-part, distinct et en décalage avec le monde contemporain, marquant un sacré séparé du profane ? Ou faut-il une musique davantage en prise avec la culture et qui sera d’autant plus sacrée qu’elle ouvrira nos contemporains à un possible dialogue [3] avec le Dieu de Jésus-Christ ? Sacrosanctum concilium a en quelque sorte tranché la question en affirmant que « l’Église approuve toutes les formes d’art véritable, si elles sont dotées des qualités requises, et elle les admet pour le culte divin. » [4] La préférence marquée pour le chant grégorien [5] tenant essentiellement à sa faculté particulière à être « en connexion étroite avec l’action liturgique » [6]. Si l’on suit ce que dit le pape François, on pourrait ajouter que la musique sacrée gagnerait donc à s’appuyer davantage sur la culture contemporaine – sans pour autant se laisser emporter par les effets de modes passagères – afin d’aider les hommes et les femmes, et peut-être surtout les plus jeunes, à « entrer plus profondément dans le mystère de Dieu » et à entrer en relation avec lui.
A la suite de Saint Jean-Paul II, nous pouvons reprendre ici le concept théologique « d’inculturation » qu’il a défini, à la suite du Père Arrupe [7], comme « l’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église. » [8] Une telle définition appelle au moins deux remarques. La première est que l’inculturation est un phénomène réciproque ! Il ne s’agit donc pas d’importer de manière plus ou moins heureuse des éléments culturels [9] extérieurs (en particulier musicaux) à l’intérieur de la liturgie, mais d’engager une fécondation réciproque entre la culture métissée de la liturgie romaine avec ses 20 siècles d’histoire, et les cultures des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Ce qui nécessite dialogue, recherche de consensus et au moins accueil bienveillant des styles et formes différentes véhiculées par des cultures contemporaines qui se croisent, se mélangent et parfois s’affrontent.
La seconde, encore plus profonde de notre point de vue, est que c’est d’abord l’Évangile, la Bonne Nouvelle, qui doit être inculturé : au-delà des moyens, il s’agit de la Révélation elle-même ! Et l’on retrouve bien ici la préoccupation du pape François : la question n’est pas seulement de chercher des adaptations particulières à une culture, elle est de faire entendre la Révélation dans une culture nouvelle, de manière à ce que nos contemporains (aussi bien les futurs convertis que les déjà baptisés) se trouvent en possibilité d’entrer plus profondément dans le mystère de Dieu. Là encore, écoute réciproque, dialogue bienveillant et recherche de consensus sont nécessaires. La musique sacrée a là une tâche immense devant elle [10] et qui ne sera achevée qu’à la fin des temps !
[1] Cf. son motu proprio de 1903 sur la musique sacrée, Tra le sollecitudini, qui envisage celle-ci comme moyen essentiel pour la participation active des fidèles.
[2] Le thème du congrès de mars 2017 portait justement sur le rapport entre musique sacré et culture contemporaine.
[3] On touche ici à une autre dimension du « sacré » qui apparaît davantage comme médiation que comme séparation (cf. Mircea Eliade, Le profane et le sacré, éd. Gallimard, 1965).
[4] SC n°112 à propos de la musique sacrée.
[5] SC n°116.
[6] SC n°112.
[7] Il n’est pas anodin de remarquer que cette notion est née chez les Jésuites !
[8] Jean-Paul II dans l’encyclique Slavorum apostoli, 1985, n°21 ; définition reprise au n°4 de Varietates legitimae, la 4e instruction de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements de 1994, pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie et portant sur « La liturgie romaine et l’inculturation ».
[9] Dans ce cas, il faudrait plutôt parler d’enculturation, au sens sociologique du terme.
[10] On lira avec profit le n°290 de La Maison-Dieu qui fait le point sur les chantiers de la musique liturgique aujourd’hui (cf. Michel Steinmetz, Emmanuel Bellanger, Philippe Robert, etc.), et présente une réflexion sur les critères de convenance d’une musique liturgique (Jo Akepsimas).
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Le site du SNPLS a publié un dossier composé de commentaires sur le discours prononcé par le pape à l'occasion du cinquantième anniversaire de Musicam Sacram. Outre la contribution de Philippe Barras, ci-dessus, il comporte d'autres réactions.
Le P. Sébastien Guiziou, Curé de Quimper – Saint-Corentin, a été frappé par les propos qui mettent en valeur l’interdisciplinarité : celle-ci favorise la rencontre et le dialogue, l’œcuménisme, la mission, la formation. Jo Akepsimas, auteur, compositeur, interprète, orchestrateur et directeur artistique, nous fait profiter du recul considérable qui est le sien : il met en regard les propos du pape avec ceux de ses prédécesseurs. Joseph Thirouin, chantre-animateur en paroisse, compositeur et cofondateur du site psaumedudimanche.fr, se penche sur la notion de patrimoine évoquée dans le discours. P. Olivier de Cagny, curé de la paroisse Saint-Louis en l’île à Paris et responsable de la Commission diocésaine de pastorale sacramentelle et liturgique du diocèse de Paris, nous rappelle en peu de mots la signification de la participation active. Vincent Decleire, compositeur, organiste, professeur d'analyse et de formation musicale à Sevran en Seine-Saint-Denis, nous fait comprendre ce que l’émotion peut apporter à la liturgie. La question n’avait jamais été formulée par un pape de cette façon. Enfin, P. Marcel Metzger, professeur émérite de la faculté de théologie catholique de l'université de Strasbourg et curé « multicampanaire » aux environs de Strasbourg, met en avant le souhait œcuménique du pape.
Pour accéder à ce dossier, suivre ce lien :
Dossier du SNPLS sur les 50 ans de Musicam Sacram.
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Il est assez rare que le Pape parle de liturgie. Aussi devons-nous regarder avec soin le discours du 4 mars dernier. Parlant à des spécialistes de la Musique sacrée, le Pape souligne que depuis la réforme conciliaire, la célébration eucharistique a été parfois entachée de médiocrité. Cela est inacceptable car la liturgie est une théophanie. Elle est entièrement centrée sur Dieu par l’adoration que lui rend sa créature. Vouloir, au nom d’une participation mal comprise, la ramener à une simple fête de l’homme serait faire fausse route, en oubliant que la liturgie est avant tout le lieu de l’adoration de la Sainte Trinité et qu’elle rend véritablement présent le mystère de notre Rédemption qui est commémoré dans le mystère de la Sainte Eucharistie. Or un mystère, par définition, ne pourra jamais être pleinement compris. Sans la foi, on ne peut entrer dans le mystère. Sans la foi par conséquent aucune liturgie ne saurait être acceptable.
Le Pape aborde surtout dans ce discours la musique sacrée qui, elle aussi et peut-être surtout, a connu bien des vicissitudes depuis une cinquantaine d’années, avec l’oubli quasi général du fameux n°116 de la Constitution sur la liturgie qui affirme que « l’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ». Le Pape ne cite pourtant pas ce numéro, mais il donne des directives générales à partir de l’instruction Musicam sacram dont le but avait été d’approfondir les rapports entre la musique sacrée et la culture contemporaine.
Le Pape remarque que la Constitution fut le premier document conciliaire accepté à la quasi unanimité. Ce fut lui pourtant qui posa dans la pratique le plus de difficultés. Les Pères avaient averti les fidèles du danger d’une « participation active » mal comprise. Cependant celle-ci était nécessaire pour faire entrer tous les croyants dans le grand mystère de la Liturgie qui n’est autre que celui de la prière de l’Église. Le Pape insiste sur cette participation qu’est le chant liturgique qui permet de rendre la cérémonie plus noble, plus digne et plus fervente. Le chant permet aussi l’unité des cœurs dans la louange. On connaît les phrases de saint Augustin sur le chant liturgique : l’unité des cœurs apparaît plus évidente dans l’unité des voix. Le chant liturgique nous élève ainsi et nous fait vraiment concitoyens de la Jérusalem céleste, car il n’y a qu’une seule liturgie. Pourtant, cette participation doit suivre l’action liturgique qui est d’abord divine. C’est pourquoi tout chant liturgique doit être non seulement digne, mais encore à l’unisson du chant des anges.
Il doit nous faire entrer dans le mystère théophanique. Il faut toujours se rappeler que toute action liturgique s’accomplit par le Christ unique prêtre du Nouveau Testament : par Lui, avec Lui et en Lui. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons participer pleinement au mystère actualisé de notre salut. On ne pourra comprendre encore une fois totalement le mystère qui nous dépasse indéfiniment, mais nous devons adorer, accueillir dans la foi et l’espérance, pour en percevoir le sens véritable. Cela ne peut se faire que par l’écoute et dans le silence qui nous permet d’écouter la musique et le sens du langage intime du Seigneur qui parle et agit dans l’action liturgique. On ne pourra jamais gommer le passé de vingt siècles liturgiques. Il faut le conserver dit le Pape, sans pour autant tomber dans une vision archéologique et nostalgique, déjà condamnée d’ailleurs par Pie XII dans Mediator Dei. Grande est donc l’ambition du Pape. On ne peut alors que chanter avec lui un Magnificat.
Source : Site Info-Catho.
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