Le chant des siècles : Lucien Deiss, un musicien “ serviteur de la Parole ” — Ressources liturgiques - Association Sacrosanctum Concilium

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Le chant des siècles : Lucien Deiss, un musicien “ serviteur de la Parole ”

Un article de Philippe Robert paru dans Signes musique n° 121.

Une mémorisation de la Parole de Dieu, tel est l’objectif poursuivi par Lucien Deiss lorsqu’il composa ses chants pour la liturgie en français.

 Lorsque j’ai commencé à enseigner l’Écriture Sainte, j’ai constaté une ignorance grave de la Parole de Dieu parmi les chrétiens. A la place de la Parole, on avait mis un faux semblant de culture théologique à base de scolastique, à la place des paroles brûlantes des prophètes on avait mis l’eau tiède des catéchismes, à la place de cette pluie d’étoiles que sont les psaumes dans le ciel de notre prière, on avait allumé les chandelles fumeuses des dévotionnettes. Il fallait revenir à la Parole, à la racine de la Révélation, remplacer l’eau des brocs de la théologie par la source de l’Ecriture, délaisser les vieilles citernes pour aller à la fontaine d’eau vive. Or il se trouve que le chant pouvait ouvrir au peuple un chemin vers la Parole. En chantant les cantiques bibliques les fidèles ont commencé à reprendre rendez-vous avec la Bible. ” (L. Deiss)

Parallèlement au Mouvement liturgie, il eut en effet un Mouvement biblique. L’Église de la première moitié du XXe siècle s’est aussi préoccupée de permettre aux chrétiens d’avoir à nouveau accès à la Bible. Un des moyens d’y parvenir fut notamment d’établir une connexion profonde entre le renouveau biblique et le renouveau liturgique, entre la Parole et le chant liturgique. Dans de précédents articles, nous avons montré que, depuis 1945, les auteurs de cantiques ont été soucieux que leurs textes puisent désormais leur inspiration dans l’Ecriture.

Chanter les psaumes

Comme nous l’avons dit dans l’article précédent (SM 120) consacré à la redécouverte du psaume en français, Joseph Gelineau ne fut pas le seul à s’atteler à cette tâche. Lucien Deiss y a également contribué. En 1953, il publie un premier recueil intitulé Psaume et Cithare.

Psaume et Cithare

Lorsqu’on lit le texte de présentation de ce livret, on y découvre l’amour que le bibliste voue à ces textes poétiques :

Chants d’amour… Les plus beaux que la joie d’aimer ait fait éclore dans le cœur de l’homme, ce sont les psaumes. Paroles humaines et divines à la fois ; humaine, parce qu’elles sont chargées de la joie et de l’angoisse de toute l’humanité ; divines, parce qu’elles sont inspirées par l’Esprit Saint, Amour infini du Père et du Fils, Jubilation éternelle de cet amour au sein de la bienheureuse Trinité.

L’auteur a ici opté pour une traduction isorythmée des versets réalisée par les Pères François Vallery-Radot et Jacques Leclercq. Ce choix de versification a évidemment des incidences sur le traitement musical du texte. Les versets ne sont pas psalmodiés sur un ton, comme chez J. Gelineau : ils reçoivent une ligne mélodique qui est identique pour chacun d’eux. Lucien Deiss, non seulement musicien mais aussi bibliste, prend soin de présenter, et le sens général, et l’interprétation musicale de chaque psaume. Bien que chaque chant puisse être chanté à l’unisson, on remarquera la présence de nombreuses harmonisations destinées à des chorales. S’agit-il d’un essai de réconciliation de celles-ci avec le chant liturgique en français ? Nous n’avons pas la réponse. Mais on peut constater dans les premiers de recueils de chants de L. Deiss l’intérêt qu’il porte à la musique polyphonique. Ce livret est également illustré par des dessins du Père Louis Rigolet et parsemé de quelques citations bibliques ou de Pères de l’Eglise. Le traitement textuel et musical de ces chants n’est sans doute pas étranger au fait qu’aucun de ceux-ci ne s’est inscrit dans un “répertoire commun”. Ils sont aujourd’hui tombés dans l’oubli.

Louange de gloire

 A ce premier livret de psaumes, Psaume et Cithare, succède un second en 1954 : Louange de gloire. Les chants y sont présentés de la même manière. Nous y retrouvons aussi des dessins dus, cette fois, à Gwenaël Le Part. Le recueil s’ouvre à nouveau sur une Présentation. L. Deiss nous avertit que, si les chants ont été écrits dans la même perspective que ceux du recueil précédent, il a ici “ songé aux chorales paroissiales qui auraient moins de ressources ” et qu’il a “ tendu vers une simplicité mélodique encore plus grande, tout en cherchant à éviter la banalité facile qui confine à la médiocrité ”. Ce choix a sans doute eu une incidence heureuse sur l’avenir des mélodies car, contrairement à celles de Psaume et Cithare,  quelques antiennes sont encore aujourd’hui chantées par les assemblées paroissiales. Citons par exemple : Garde mon âme dans la paix près de toi, Seigneur (P 23), O Seigneur envoie ton esprit qui renouvelle la face de la terre (K 17) et l’antienne bien connue, Terre entière, chante ta joie au Seigneur ! (I 33). Chantées depuis plus de cinquante ans, elles font désormais partie du fond commun des chants liturgiques en français.

Dans ce texte de Présentation, le père Deiss nous informe aussi sur la destination de ces psaumes, nous disant qu’ils ne sont “ nullement destinés à remplacer les cantiques traditionnels ” ! Il insiste également sur la formation biblique et liturgique, tant des prêtres que des fidèles :

“ Ce serait une grossière erreur que de croire la Communauté Paroissiale renouvelée parce qu’on y aura fait chanter quelques “nouveautés”. Ce qui est beaucoup plus important, c’est une formation et une éducation sérieuse du Peuple chrétien, tant sur le plan liturgique que sur le plan biblique. Ce qui est essentiel, c’est d’harmoniser notre vie avec celle du Christ – “Le Cantique du Père” (Saint Augustin) Le prêtre qui négligerait lui-même de s’instruire manquerait à son devoir pastoral […] Le fidèle qui, de son côté bouderait cette participation active, à la fois personnelle et communautaire, au mouvement biblique et liturgique, se priverait par sa faute de richesses spirituelles inestimables. “Ignorer les Ecritures, disait saint Jérôme, c’est ignorer le Christ”. Les communautés qui refusent cet effort sérieux et se contentent d’un renouvellement tout extérieur conserveront sans doute les airs connus et les cantiques “traditionnels”, nous serions attristés qu’elles se servent des psaumes comme de simples recettes de rajeunissement. Celles au contraire qui tendent vers une piété profonde et pleine de vérité, enracinée aux sources authentiques de la Foi, trouveront dans les Psaumes la merveilleuse et éternelle jeunesse de la Parole divine. ”

Ce texte est certainement toujours d’actualité ! Il nous invite encore aujourd’hui à nous interroger sur le sens du choix des nouveautés que nous introduisons dans notre répertoire et sur le rapport entre les textes des chants et l’Ecriture.

Cantique nouveau

Un an plus tard, en 1955, L. Deiss publie un dernier recueil de psaume, Cantique nouveau, illustré cette fois par Noël Tinguely. En plus des psaumes isorythmés auxquels nous avaient habitués les deux livrets précédents, on y trouve des psaumes en style libre, soit qui utilisent un ton psalmique et développent largement la vocalise sur des finales féminines (voir par exemple le psaume 96, L 12, Cantique nouveau), un texte du Livre d’Isaïe (Y 3, Fille de Sion) et deux anciennes prières liturgiques (P 28, Joyeuse Lumière et D 44, Acclamation Eucharistique de la Didaché). De ce recueil également, plusieurs chants font désormais partie du répertoire commun  des assemblées chrétiennes.

Philippe ROBERT

Né à Eschbach en Alsace, le 2 septembre 1921, après avoir reçu une bonne initiation au piano, Lucien Deiss continua sa formation musicale, surtout à l’orgue, durant ses études secondaires chez les spiritains à Saverne et au cours de  sa formation cléricale à Chevilly-Larue. Ordonné prêtre en 1945, il ira étudier deux ans à Rome pour la licence en théologie. Durant cette période, il sera élève de Ferrucio Vignanelli à l’Institut pontifical de musique sacrée. Il rencontrera également Dom Sunol, un spécialiste du chant grégorien. En 1947, L. Deiss part comme missionnaire à Brazaville (Congo) pour fonder, avec d’autres spiritains, le séminaire Liberman. En 1948, il doit rentrer en France pour des raisons de santé. Il est alors nommé professeur d’Ecriture sainte au Séminaire de Chevilly-Larue. Il y est aussi chargé du chant de 1948 à 1957. Cette année-là, il devient aumônier d’une communauté de sœurs spiritaines, proche de Versailles. Atteint par la maladie de Parkinson, il revient à Chevilly en 2000. A la suite d’un accident vasculaire cérébral, il décédera le 9 octobre 2007.

“ Lorsque j’ai commencé à enseigner l’Ecriture Sainte, j’ai constaté une ignorance grave de la Parole de Dieu parmi les chrétiens. A la place de la Parole, on avait mis un faux semblant de culture théologique à base de scolastique, à la place des paroles brûlantes des prophètes on avait mis l’eau tiède des catéchismes, à la place de cette pluie d’étoiles que sont les psaumes dans le ciel de notre prière, on avait allumé les chandelles fumeuses des dévotionnettes. Il fallait revenir à la Parole, à la racine de la Révélation, remplacer l’eau des brocs de la théologie par la source de l’Ecriture, délaisser les vieilles citernes pour aller à la fontaine d’eau vive. Or il se trouve que le chant pouvait ouvrir au peuple un chemin vers la Parole. En chantant les cantiques bibliques les fidèles ont commencé à reprendre rendez-vous avec la Bible. ” (L. Deiss)

 

 

 

  • Sacrosanctum Concilium 99

    Extrait de la Constitution Sacrosanctum Concilium

    Récitation commune de l'office divin.

    SC 99. Puisque l'office divin est la voix de l'Église, c'est-à-dire de tout le Corps mystique adressant à Dieu une louange publique, il est recommandé que les clercs non obligés au chœur, et surtout les prêtres vivant en commun ou passagèrement réunis, acquittent en commun au moins une partie de l'office divin.       
    Mais tous ceux qui acquittent l'office, soit choralement, soit en commun, accompliront la fonction qui leur est confiée le plus parfaitement possible, soit quant à la dévotion intérieure, soit quant à la réalisation extérieure.
    Il importe en outre que l'office, au chœur ou en commun, soit chanté, selon l'opportunité.