Sermons sur la Transfiguration — Ressources liturgiques - Association Sacrosanctum Concilium

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Sermons sur la Transfiguration

Sermons de saint Augustin, saint Léon le Grand et saint François de Sales sur la Transfiguration

Sermon de saint Augustin sur la Transfiguration (sermon LXXXVIII)


1. Il nous faut contempler, mes bien-aimés, et expliquer le spectacle saint que le Seigneur présenta sur la sainte montagne. C'est de cet évènement qu'il avait dit : « Je vous le déclare «en vérité, il y en a quelques-uns ici présents qui ne goûteront pas la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme dans son royaume. »

Voici le commencement de la lecture qui vient de nous être faite. « Six jours après avoir prononcé ces paroles, il prit avec lui trois disciples, Pierre, Jean et Jacques, et alla sur la montagne. » Ces disciples étaient ceux dont il avait dit : « Il y en a ici quelques-uns qui ne goûteront point la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme dans son royaume. » Qu'est-ce que ce royaume ? Question assez importante. Car l'occupation de cette montagne n'était pas la prise de possession de ce royaume. Qu'est-ce en effet qu'une montagne pour qui possède le ciel ? Non-seulement les Écritures nous enseignent cette différence, mais nous la voyons en quelque sorte des yeux de notre coeur.

Or Jésus appelle son royaume ce que souvent il nomme le royaume des cieux. Mais le royaume des cieux est le royaume des saints ; car il est dit : « Les cieux racontent la gloire de  Dieu; » et aussitôt après : « Il n'y a point de langues ni d'idiomes qui n'entendent leurs voix; » les voix de ces mêmes cieux. « L'éclat s'en est répandu sur toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités de l’univers. » N'est-ce donc pas des Apôtres et de tous les prédicateurs fidèles de la parole de Dieu qu'il est fait ici mention ? Ces mêmes cieux régneront avec le Créateur du ciel, et voici ce qui s'est fait pour le démontrer.

2. Le Seigneur Jésus en personne devint resplendissant comme le soleil, ses vêtements blancs comme la neige, et avec lui s'entretenaient Moïse et Élie. Jésus toi-même, Jésus en personne parut resplendissant comme le soleil, marquant ainsi qu'il était la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Ce qu'est ce soleil pour les yeux de la chair, Jésus l'est pour les yeux du coeur ; l'un est pour les âmes ce que l'autre est pour les corps.

Ses vêtements représentent ici son Église ; car ils tombent s'ils ne sont portés et maintenus. Paul était dans ces vêtements comme l'extrémité de la frange; aussi dit-il. « Je suis le moindre des Apôtres  » et ailleurs : « Je suis le dernier des Apôtres. » Or la frange est ce qu'il y a de moindre et d'extrême dans le vêtement. Aussi, comme cette femme qui souffrait d'une perte de sang fut guérie en touchant la frange de la robe du Seigneur ; ainsi l'Église des gentils se convertit à la prédication de Paul. Eh ! qu'y a-t-il d'étonnant que l'Église soit figurée par de blancs vêtements, puisque nous entendons le prophète Isaïe s'écrier: « Vos péchés fussent-ils rouges comme l'écarlate, je vous blanchirai comme la neige ? »

Que peuvent Moïse et Elie, la loi et les prophètes, s'ils ne communiquent avec le Seigneur ? Qui lira la loi ? qui lira les prophètes, s'ils ne rendent témoignage au Fils de Dieu ? C'est ce que l'Apôtre exprime en peu de mots. « La loi dit-il, fait seulement connaître le péché, tandis qu'aujourd’hui, sans la loi, la justice de Dieu a été manifestée : » voilà le soleil ; « annoncée par la loi et les prophètes » voilà l'aurore.

3. Pierre est, témoin de ce spectacle, et goûtant les choses humaines à la manière des hommes : « Seigneur, dit-il, il nous est bon d'être ici. » Il s'ennuyait de vivre au milieu de la foule, il avait trouvé la solitude sur une montagne où le Christ servait d'aliment à son âme. Pourquoi en descendre afin de courir aux travaux et aux douleurs, puisqu'il se sentait envers Dieu un saint amour et conséquemment des moeurs saintes? Il cherchait son propre bien ; aussi ajouta-t-il. « Si vous voulez, dressons ici trois tentes : une pour vous, une pour Moïse et une autre pour Élie. » Le Seigneur ne répondit rien à cette demande, et toutefois il y fut répondu. En effet, comme il parlait encore, une nuée lumineuse descendit et les couvrit de son ombre. Pierre demandait trois tentes ; et la réponse du ciel témoigna que nous n'en avons qu'une, celle que le sens humain voulait partager. Le Christ est la parole de Dieu, la Parole de Dieu dans la loi, la Parole de Dieu dans les prophètes. Pourquoi, Pierre, chercher à la diviser ? Cherche plutôt à t'unir à elle. Tu demandes trois tentes, comprends qu'il n'y en a qu'une.

4. Pendant que la nuée les couvrait et formait comme une seule tente au dessus d'eux, une voix sortit de son sein et fit.entendre ces paroles « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Là se trouvaient Moïse et Elie. La voix ne dit pas: Ceux-ci sont mes Fils bien-aimés. Autre chose est d'être le Fils unique, et autre chose, des enfants adoptifs. Celui qui se trouve aujourd'hui signalé est Celui dont se glorifient la loi et les prophètes : « Voici, est-il dit, mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes douces complaisances; écoutez-le » car c'est lui que vous avez entendu dans les prophètes, lui aussi que vous avez entendu dans la loi, et où ne l'avez-vous pas entendu ? Ils tombèrent à ces mots la face contre terre.

Voilà donc dans l'Église le royaume de Dieu. Là en effet nous apparaissent le Seigneur, la loi et les prophètes : le Seigneur dans la personne du Seigneur même, la loi dans la personne de Moïse et les prophètes dans celle d'Elie. Ces deux derniers figurent ici comme serviteurs et comme ministres, comme des vaisseaux que remplissait une source divine ; car si Moïse et les prophètes parlaient et écrivaient, c'est qu'ils recevaient du Seigneur ce qu'ils répandaient dans autrui.

5. Le Seigneur ensuite étendit la main et releva ses disciples prosternés. « Ils ne virent plus alors que Jésus resté seul. » Que signifie cette circonstance ? Vous avez entendu, pendant la lecture de l'Apôtre, que « nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, mais que nous verrons alors face à face, » et que les langues cesseront lorsque nous posséderons l'objet même de notre espoir et de notre foi. Les Apôtres en tombant symbolisent donc notre mort, car il a été dit à la chair : « Tu es terre et tu retourneras en terre » et notre résurrection quand le Seigneur les relève. Mais après la résurrection, à quoi bon la loi ? à quoi bon les, prophètes ? Aussi ne voit-on plus ni Elie ni Moïse. Il ne reste que Celui dont il est écrit : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu. » Il ne reste plus que Dieu, pour être tout en tous. Là sera Moïse, mais non plus la loi. Nous y verrons aussi Elie, mais non plus comme prophète. Car la loi et les prophètes devaient seulement rendre témoignage au Christ, annoncer qu'il devrait souffrir, ressusciter d'entre les morts le troisième jour et entrer ainsi dans sa gloire (4); dans cette gloire où se voit l'accomplissement de cette promesse adressée à ceux qui l'aiment : « Celui qui m'aime, dit-il, sera aimé de mon Père, et moi aussi je l'aimerai. » Et comme si on lui eût demandé : Que lui donnerez-vous en témoignage de votre amour ? « Et je me  montrerai à lui, » poursuit-il. Quelle faveur ! Quelle magnifique promesse! Dieu te réserve pour récompensé, non pas- quelque don particulier, mais lui-même., Comment, ô avare, ne pas te contenter des promesses du Christ ? Tu te crois riche, mais qu'as-tu si tu n'as pas Dieu, et si ce pauvre l'a, que ne possède-t-il point ?

6. Descends, Pierre, tu voulais te reposer sur la montagne, descends, annonce la parole, insiste à temps, à contre-temps, reprends, exhorte, menace, en toute patience et doctrine ; travaille, sue, souffre des supplices afin de parvenir par la candeur et la beauté des bonnes oeuvres accomplies avec charité, à posséder ce que figurent les blancs vêtements du Seigneur. L'Apôtre ne vient-il pas de nous dire, à la gloire de la charité : « Elle ne cherche point son propre intérêt ? »

Il s'exprime ailleurs autrement, et il est fort dangereux de ne pas le comprendre. Expliquant donc les devoirs de la charité aux membres fidèles du Christ : « Que personne, dit« il, ne cherche son bien propre, mais le bien d'autrui. » Or en entendant ces mots, l'avare prépare ses artifices; il veut dans les affaires, pour rechercher le bien d'autrui, tromper le prochain, et ne pas chercher son bien propre, mais celui des étrangers. Arrête, ô avarice, justice, montre-toi : écoutons et comprenons. C'est la charité qu'il a été dit : « Que personne ne cherche son bien propre, mais le bien d'autrui. » Toi donc, ô avare, si tu résistes à ce conseil, si tu veux y trouver l'autorisation de convoiter le bien d'autrui, sacrifie d'abord le tien. Mais je te connais, tu veux à la fois et ton bien et le bien étranger. Tu emploies l'artifice pour t'approprier ce qui n'est pas à toi; souffre donc que le vol te dépouille de ce qui t'appartient. Tu ne veux pas ? chercher ton bien, mais tu prends le bien d'autrui. Cette conduite est inique. Écoute, ô avare, prête l'oreille. Ces mots: « Que personne ne cherche son bien propre, mais le bien d'autrui, » te sont expliqués ailleurs plus clairement par le même Apôtre. Il dit de lui-même : « Pour moi je cherche, non pas ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre, afin de les  sauver. »

C'est ce que ne comprenait pas encore Pierre, lorsqu'il désirait rester avec le Christ sur la montagne. Le Christ, ô Pierre, te réservait ce bonheur après la mort. Pour le moment il te dit : Descends travailler sur la terre, servir sur la terre, et sur la terre être livré aux mépris et à la croix. La Vie même n'y est elle pas descendue pour subir la mort, le Pain, pour endurer la faim, la Voie, pour se fatiguer dans la marche, la Fontaine éternelle pour souffrir la soif ? Et tu refuses le travail ? Ne cherche pas ton intérêt propre. Aies la charité, annonce la vérité, ainsi tu parviendras à l'inaltérable paix de l'éternité.

 

Sermon de saint Léon le Grand sur la Transfiguration

 

Aussi, « Jésus prit-il avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère », et, les ayant conduits à part, il gravit avec eux une haute montagne, et leur manifesta l’éclat de sa gloire : car, bien qu’ils eussent compris que la majesté de Dieu était en lui, ils ignoraient encore la puissance détenue par ce corps qui cachait la Divinité. Et voilà pourquoi il avait promis en termes propres et précis que certains des disciples présents ne goûteraient pas la mort avant de voir le Fils de l’homme venir dans son royaume, c’est-à-dire dans l’éclat royal qui convenait spécialement à la nature humaine qu’il avait prise, et qu’il voulut rendre visible à ces trois hommes. Car pour ce qui est de la vision ineffable et inaccessible de la Divinité elle-même, vision réservée aux cœurs purs dans la vie éternelle, des êtres encore revêtus d’une chair mortelle ne pouvaient en aucune façon ni la contempler ni la voir.

Le Seigneur découvre donc sa gloire en présence de témoins choisis et il éclaire d’une telle splendeur cette forme corporelle qui lui est commune avec tous que son visage devient semblable à l’éclat du soleil en même temps que son vêtement est comparable à la blancheur des neiges. Sans doute cette transfiguration avait surtout pour but d’ôter du cœur des disciples le scandale de la croix, afin que l’humilité de la passion volontairement subie ne troublât pas la foi de ceux à qui aurait été révélée l’éminence de la dignité cachée. Mais, par une égale prévoyance, il donnait du même coup un fondement à l’espérance de la sainte Église, en sorte que tout le corps du Christ connût de quelle transformation il serait gratifié, et que les membres se donnassent à eux-mêmes la promesse de participer à l’honneur qui avait resplendi dans la tête. A ce sujet, le Seigneur lui-même avait dit, parlant de la majesté de son avènement : « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » ; et le bienheureux apôtre Paul affirme la même chose en ces termes : « J’estime, en effet, que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer avec la gloire qui doit se révéler en nous » ; et encore : « car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu ; quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire ». 

Cependant les apôtres, qui devaient être affermis dans leur foi et initiés à la connaissance de toutes choses, trouvèrent de surcroît en ce prodige un autre enseignement. En effet, Moïse et Élie, c’est-à-dire la loi et les prophètes, apparurent s’entretenant avec le Seigneur : ceci afin que s’accomplit très parfaitement dans la présence de ces cinq hommes ce qui est dit : « Toute parole sera ferme, proférée en présence de deux ou trois témoins ». Quoi de plus établi, quoi de plus ferme que cette parole ? Pour la proclamer, la double trompette de l’ancien et du nouveau Testament résonne en plein accord et tout ce qui servit à en témoigner dans les temps anciens se rencontre avec l’enseignement de l’Évangile ! Les pages de l’une et l’autre alliance, en effet, se confirment mutuellement, et celui que les anciens symboles avaient promis sous le voile des mystères, l’éclat de sa gloire présente le montre manifeste et certain : c’est que, comme le dit saint Jean, « la loi fut donnée par l’intermédiaire de Moïse, mais la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ », en qui se sont accomplis et la promesse des figures prophétiques et le sens des préceptes de la loi ; car, par sa présence, il enseigne la vérité de la prophétie, et, par sa grâce, il rend possible la pratique des commandements. 

Entraîné par cette révélation des mystères, saisi de mépris pour les biens de ce monde et de dégoût pour les choses terrestres, l’apôtre Pierre était comme ravi en extase par le désir des biens éternels ; rempli de joie par toute cette vision, il souhaitait demeurer avec Jésus en ce lieu où sa gloire ainsi manifestée faisait toute sa joie ; aussi dit-il : « Seigneur, il nous est bon d’être ici ; si tu le veux, faisons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie ». Mais le Seigneur ne répondit pas à cette proposition, voulant montrer non certes que ce désir était mauvais, mais qu’il était déplacé ; car le monde ne pouvait être sauvé que par la mort du Christ et l’exemple du Seigneur invitait la foi des croyants à comprendre que, sans devoir douter du bonheur promis, nous devions parmi les tentations de cette vie, demander la patience avant la gloire ; le bonheur du royaume ne peut, en effet, précéder le temps de la souffrance. 

(Saint Léon le Grand, sermon 51)

Sermon de saint François de Sales sur la Transfiguration


Le grand Apôtre saint Paul ayant été ravi et élevé jusqu'au troisième Ciel, ne sachant si ce fut hors de son corps ou en son corps, dit qu'il n'est nullement loisible ni possible à l'homme de raconter ce qu'il y vit, ni les merveilles admirables qu'il apprit et qui lui furent montrées en son ravissement. Or, si celui qui les a vus n'en peut parler, si ayant été ravi jusqu'au troisième Ciel il n'en ose dire mot, beaucoup moins donc nous autres qui n'avons été élevés ni au premier ni au second ni au troisième.

(…) Je ne veux pas, mes chères Sœurs, vous entretenir de la félicité que les Bienheureux ont en la claire vue de la face de Dieu, qu'ils voient et verront sans fin en son Essence ; car cela regarde la félicité essentielle, et je n'en veux pas traiter, sinon que j'en dise quelques mots sur la fin. Je ne parlerai pas non plus de l'éternité de cette
gloire des Saints, mais seulement d'une certaine gloire accidentelle qu'ils reçoivent en la conversation qu'ils ont par ensemble. O quelle divine conversation ! Mais avec qui? Avec trois sortes de personnes : avec eux mêmes, avec les Anges, les Archanges, les Chérubins, les saints Apôtres, les Confesseurs, les Vierges, avec la Vierge glorieuse, Notre Dame et Maîtresse, avec la très sainte humanité de Notre Seigneur et enfin avec la très adorable Trinité même, le Père, le Fils et le Saint Esprit.

Mais, mes chères Sœurs, il faut que vous sachiez que tous les Bienheureux se connaîtront les uns les autres, un chacun par leur nom, ainsi que nous l'entendrons mieux par le récit de l'Évangile, lequel nous fait voir notre divin Maître sur le mont de Thabor, accompagné de saint Pierre, saint Jacques et saint Jean. Pendant qu'ils regardaient le Sauveur qui priait (Lc IX, 29) et était en oraison, il se transfigura devant eux, laissant répandre sur son corps une petite partie de la gloire dont il jouissait continuellement dès l'instant de sa glorieuse conception dans les entrailles de Notre Dame ; gloire qu'il retenait, par un continuel miracle, resserrée et couverte dans la suprême partie de son âme.

Les Apôtres virent donc alors sa face plus reluisante et éclatante que le soleil, voire cette clarté et cette gloire s'épancha jusque sur ses vêtements pour nous montrer qu'il n'en était pas si chiche qu'il n'en fit part à ses habits mêmes et à ce qui était autour de lui. Il nous fit voir un petit échantillon du bonheur éternel et une goutte de cet océan et de cette mer d'incomparable félicité pour nous faire désirer la pièce tout entière (Intro. à la vie dévote, Parie III,c.2) ; si que le bon saint Pierre, qui parlait pour tous comme devant être le chef des autres : "O qu'il est bon d'être ici", s'écria-t-il tout ému de joie et de consolation. J'ai bien vu, voulait-il dire, beaucoup de choses, mais il n'y a rien de si désirable que d'être en ce lieu. Les trois disciples virent encore Moïse et Elie qu'ils n'avaient jamais vus et qu'ils reconnurent cependant très bien ; l'un ayant repris son corps ou bien un autre formé de l'air, et l'autre étant en son même corps auquel il fut élevé dans le char triomphal (IV R. II, 11). Tous deux s'entretenaient avec notre divin Maître de l'excès qui devait arriver en Jérusalem (Lc IX,31), excès qui n'est autre sinon la mort qu'il devait souffrir par son amour ; et soudain après cet entretien les Apôtres ouïrent la voix du Père éternel lequel disait : "C'est ici mon Fils bien aimé, écoutez-le."

Je remarque premièrement qu'en la félicité éternelle nous nous connaîtrons tous les uns les autres, puisque en ce petit échantillon que le Sauveur en donna à ses Apôtres il voulut qu'ils reconnussent Moïse et Elie qu'ils n'avaient jamais vus. Si cela est ainsi, o mon Dieu, quel contentement recevrons-nous en voyant ceux que nous avons si  chèrement aimés en cette vie ! Oui même nous connaîtrons les nouveaux chrétiens qui se convertissent maintenant à notre sainte foi aux Indes, au Japon et aux antipodes. Les amitiés qui auront été bonnes dès cette vie se continueront éternellement en l'autre. Nous aimerons des personnes particulièrement, mais ces amitiés particulières  n'engendreront point de partialités, car toutes nos affections prendront leur force de la charité de Dieu qui, les conduisant toutes, fera que nous aimerons un chacun des
Bienheureux de cet amour éternel dont nous aurons été aimés de la divine Majesté.

O Dieu, quelle consolation recevrons-nous en cette conversation céleste que nous aurons les uns avec les autres ! Là nos bons Anges nous apporteront une joie plus grande qu'il ne se peut dire quand ils se feront reconnaître à nous, et qu'ils nous représenteront si amoureusement le soin qu'ils ont eu de notre salut durant le cours de notre vie mortelle; ils nous ressouviendront des saintes inspirations qu'ils nous ont apportées, comme un lait sacré qu'ils allaient puiser dans les mamelles de la divine Bonté, pour nous attirer à la recherche de ces incomparables suavités dont nous serons alors jouissants. Ne te souviens-tu point, diront-ils, d'une telle inspiration que je te donnais en un tel temps, en lisant un tel livre, en entendant un tel sermon, ou bien en regardant une telle image? dira le bon Ange de sainte Marie Egyptiaque, inspiration qui t'incita à te convertir à Notre-Seigneur et qui fut le principe de ta prédestination (Vitae Patrum, L.I ; Vitae S. Mar. Aegypt. c.16). O Dieu, nos cœurs ne se fondront-ils pas d'un  contentement indicible entendant ces paroles ?

Un chacun des esprits bienheureux aura un entretien particulier selon son rang et sa dignité. Notre glorieux Père saint Augustin (je me plais à parler de lui car je sais que le souvenir vous en est fort agréable) faisait un jour un souhait de voir Rome triomphante, le glorieux saint Paul prêchant et Notre-Seigneur allant parmi le peuple, guérissant les malades et faisant des miracles. O mes chères âmes, quel bonheur à ce saint de contempler la Jérusalem céleste en son triomphe, le grand Apôtre (je ne dis pas grand de corps, car il était petit, mais grand en éloquence et en sainteté) prêchant et entonnant ces louanges qu'il donnera éternellement à la divine Majesté en la gloire ! Mais quel excès de consolation pour saint Augustin de voir Notre Seigneur opérer le miracle perpétuel de la félicité des Bienheureux que sa mort nous a acquise! Imaginez-vous, de grâce, le divin entretien que ces deux saints auront l'un avec l'autre, saint Paul disant à saint Augustin : Mon cher frère, ne vous ressouvenez-vous point qu'en lisant mon  Epître (Rm XIII, 12-14) vous fûtes touché d'une inspiration qui vous sollicitait de vous convertir, inspiration que j'avais obtenue de la divine miséricorde de notre bon Dieu par la prière que je faisais pour vous à même temps que vous lisiez ce que j'avais écrit? Cela, mes chères Sœurs ne causera-t-il pas une douceur admirable au cœur de notre saint Père?

Faites derechef une imagination, je vous prie. Supposez que Notre Dame, sainte Madeleine, sainte Marthe, saint Etienne et les Apôtres fussent vus l'espace d'un an, comme pour un grand jubilé, en Jérusalem. Quel d'entre nous autres, je vous supplie, voudrait demeurer ici ? Pour moi je pense que nous nous embarquerions tous et nous mettrions au péril de tous les hasards qu'encourent ceux qui vont d'ici là, pour avoir cette grâce de voir notre glorieuse Mère et Maîtresse, Madeleine, Marie Salomé et les autres qui s'y trouveraient, puisque nos pèlerins s'exposent bien à tant de dangers pour aller seulement révérer les lieux où ces saintes personnes ont posé leurs pieds. Si cela est ainsi, mes chères âmes, quelles consolations recevrons-nous entrant au Ciel, où nous verrons cette bénite face de Notre Dame toute flamboyante de l'amour de Dieu ! Et si sainte Elizabeth demeura si transportée d'aise et de contentement quand, au jour qu'elle la visita, elle l’entendit entonner de divin Cantique du Magnificat ; combien nos cœurs et nos esprits tressailliront-ils d'une joie indicible lorsqu'ils entendront entonner par ce chantre sacrée le cantique de l'amour éternel (Traité de l’Amour de Dieu, L. V, c.11) ! O quelle douce mélodie ! Sans doute nous entrerons en des ravissements fort aimables, lesquels ne nous ôteront pourtant pas l'usage ni les fonctions de nos puissances qui, par ce divin rencontre que nous ferons de la Sainte Vierge, s'habiliteront merveilleusement pour mieux et plus parfaitement louer, et glorifier Dieu, qui lui a fait tant de grâces et à  nous aussi, nous donnant celle de converser familièrement avec elle.

Mais, me pourriez-vous demander, s'il est ainsi que vous dites que nous nous entretiendrons avec tous ceux qui sont en la Jérusalem céleste, qu'est-ce que nous dirons? De quoi parlerons-nous ? Quel sera le sujet de notre entretien ? O Dieu, mes chères sœurs, quel sujet! Celui des miséricordes que le Seigneur nous a faites ici bas, par lesquelles il nous a rendus capables d'entrer en la jouissance d'un bonheur tel que seul il nous suffit. Je dis seul, parce qu'en ce mot de félicité sont compris toutes sortes de biens, lesquels ne sont pourtant qu'un unique bien, qui est celui de la jouissance de Dieu en la félicité éternelle. C'est cet unique bien que la divine amante du Cantique des Cantiques demandait à son Bien-Aimé, observant en cela, comme étant très prudente, le dire du Sage (Eccl.VII), qu'il faut penser à la fin avant l’œuvre. Donnez-moi, s'écrie-t-elle (Cant. I, 1), o mon cher Bien-Aimé, un baiser de votre bouche. Ce baiser, ainsi que je déclarerai tantôt, n'est autre chose que la félicité des Bienheureux. Mais de quoi traiterons-nous encore en notre conversation ? De la Mort et Passion de Notre Seigneur et Maître. Hé, ne l'apprenons-nous pas en la Transfiguration, où il ne se parle de rien tant que de l’excès qu'il devait souffrir en Jérusalem ? Excès qui n'était autre, comme nous l'avons déjà vu, que sa douloureuse mort. O si nous pouvions comprendre quelque chose de la consolation que les Bienheureux ont en, parlant de cette amoureuse mort, combien nos âmes se délecteraient d'y penser !

Passons plus outre, je vous prie, et disons un peu quelques mots de l'honneur et de la grâce que nous aurons de converser même avec Notre Seigneur humanisé. C'est ici sans doute que notre félicité prendra un accroissement indicible et inénarrable. Que ferons-nous, chères âmes, que deviendrons-nous, je vous prie, quand à travers la plaie sacrée de son côté nous apercevrons ce cœur très adorable et très aimable de notre Maître, tout ardent de l'amour qu'il nous porte, cœur auquel nous verrons tous nos noms écrits en lettres d'amour ? Est-il possible, dirons-nous, o mon cher Sauveur, que vous m'ayez tant aimé que d'avoir gravé mon nom en votre cœur ! Cela est pourtant véritable. Le Prophète (Is. XLIX, 15, 16), parlant en la personne de Notre-Seigneur, nous dit : Quand il arriverait que la mère oublierait l'enfant qu'elle porte en ses entrailles, si ne t'oublierai-je point, car j'ai gravé ton nom en mes mains. Mais Jésus-Christ lui même enchérissant sur ces paroles dira : S'il se pouvait faire que la femme oubliât son enfant, moi, je ne t'oublierai pas, d'autant que je porte ton nom gravé en mon cœur.

Certes, ce sera un sujet de très grande consolation que celui ci, que nous soyons si chèrement aimés de Notre-Seigneur qu'il nous porte toujours en son cœur. Quelle délectation admirable pour un chacun des Bienheureux quand ils verront dans ce cœur très sacré et très adorable les pensées de paix (Jér. XXIX,11) qu'il faisait pour eux et pour nous à l'heure même de sa Passion ! pensées qui nous préparaient non seulement les moyens principaux de notre salut, mais aussi tous les divins attraits, inspirations et bons mouvements desquels ce très doux Sauveur se voulait servir pour nous attirer à la suite de son très pur amour (Intro. à la vie dévote ; partie V, c.13). Ces vues, ces regards, ces considérations particulières que nous ferons sur cet amour sacré, duquel nous aurons été si chèrement et si ardemment aimés par notre souverain Maître, enflammeront nos cœurs d'une dilection et d'une ardeur nom pareilles. Que ne devrions-nous donc pas faire ou souffrir pour jouir de ces suavités indiciblement agréables ! Cette vérité nous est montrée en l'Evangile d'aujourd’hui ; car ne voyez-vous pas que Notre-Seigneur étant transfiguré, Moïse et Elie lui parlent et s'entretiennent tout familièrement avec lui ?

Notre félicité ne s'arrêtera pas là, mes chères âmes, mais elle passera plus avant, car nous verrons face à face (I Cor. XIII,12) et très clairement la divine Majesté, l'essence de Dieu et le mystère de la très sainte Trinité, en laquelle vision et claire connaissance consiste notre félicité essentielle. Là nous entendrons et participerons à ces très adorables conversations et à ces divins colloques qui se font entre le Père, le Fils et le Saint Esprit (Traité de l’amour de Dieu ; L.III, cc.11-13). Nous entendrons, dis-je, comme le Fils entonnera mélodieusement les louanges dues à son Père céleste (ibid. L.V, c.11) et comme il lui représentera, en faveur de tous les hommes, l'obéissance qu'il lui a rendue tout le temps de sa vie. Nous ouïrons aussi, en contre-change, le Père éternel prononcer d'une voix éclatante et avec une harmonie incomparable ces divines paroles que les Apôtres entendirent au jour de la Transfiguration : Celui-ci est mon Fils bien aimé auquel je me suis complu, et le Père et le Fils parlant ensemble du Saint Esprit : C'est ici notre Esprit, procédant de l'un et de l'autre, dans lequel nous avons mis tout notre amour.

Non seulement il y aura conversation et entretien entre les Personnes divines, mais encore entre Dieu et les hommes. Et quel sera-t-il ce divin entretien ? Oh, quel il sera ! Il sera tel qu'il n'est pas loisible à l'homme de le rapporter; ce sera un devis si secret que nul ne le pourra entendre que Dieu et celui avec lequel il se fera. Dieu dira un mot si particulier à chacun des Bienheureux qu'il n'y en aura point de semblable. Mais quel sera ce mot ? Oh ! ce sera un mot le plus amoureux qui se puisse jamais imaginer. Représentez-vous tous ceux qui se peuvent prononcer pour attendrir un cœur et les noms les plus affectionnés qui se puissent ouïr puis dites enfin que ce n'est rien au prix de celui que Dieu donnera à un chacun là haut au Ciel. Il nous donnera un nom (Apoc. II, 17) il nous dira un mot. Supposez qu'il vous dira: Tu es ma bien-aimée, tu es la bien-aimée de mon Bien-Aimé, c'est pourquoi tu seras chèrement aimée de moi; tu es la bien choisie de mon bien choisi qui est mon Fils. Cela n'est rien, mes chères âmes, en comparaison de la suavité qu'apportera quant et soi ce mot ou ce nom saint et sacré que le Seigneur fera entendre à l'âme bienheureuse.

Ce sera alors que Dieu donnera à la divine amante ce baiser qu'elle a si ardemment demandé et souhaité, ainsi que nous disions tantôt. Oh ! qu'elle chantera amoureusement son cantique d'amour : Qu'il me baise, le Bien-Aimé de mon âme, d'un baiser de sa bouche. Et poursuivant elle ajoutera : Meilleur est sans nulle comparaison le lait qui coule de ses chères mamelles que non pas tous les vins les plus délicieux, et le reste (Cant. I ,1-3). Quelles divines extases, quels embrassements amoureux entre la souveraine Majesté et cette chère amante quand Dieu lui donnera ce baiser de paix ! Cela sera pourtant ainsi, et non pas avec une amante seule, mais avec un chacun des citoyens célestes, entre lesquels se fera un entretien admirablement agréable des souffrances, des peines et des tourments que Notre-Seigneur a endurés pour un chacun de nous durant, le cours de sa vie mortelle, entretien qui leur causera une consolation telle que les Anges, au dire de saint Bernard (Sermon XXII in Cant., § 6), n'en sont pas capables ; car si bien Notre-Seigneur est leur Sauveur et qu'ils aient été sauvés par sa mort, il n'est pourtant pas leur Rédempteur, d'autant qu'il ne les a pas rachetés, mais seulement les hommes. C'est pourquoi ceux-ci recevront une félicité et un contentement singulier à parler de cette glorieuse Rédemption, par le moyen de laquelle ils auront été faits semblables aux anges, ainsi que notre divin Maître l'a dit (Mc XII, 25).

En la Jérusalem céleste nous jouirons donc d'une conversation très agréable avec les esprits bienheureux, les anges, les Chérubins et Séraphins, les Saints et les Saintes, avec Notre Dame et glorieuse Maîtresse, avec Notre-Seigneur et enfin avec la très sainte et très adorable Trinité, conversation qui durera éternellement et qui sera perpétuellement gaie et joyeuse. Or, si nous avons en cette vie tant de suavité à ouïr parler de ce que nous aimons que nous ne pouvons nous en taire, quelle joie, quelle jubilation recevrons-nous d'entendre éternellement chanter les louanges de la divine Majesté que nous devons aimer et que nous aimerons plus qu'il ne se peut comprendre en cette vie ! Si nous prenons tant de plaisir en la seule imagination de la perdurable félicité, combien en aurons-nous davantage en la jouissance de cette même félicité! félicité et gloire qui n'aura jamais de fin, mais qui durera éternellement sans que jamais nous en puissions être rejetés. O que cette assurance augmentera notre consolation ! Marchons donc gaiement et joyeusement, chères âmes, parmi les difficultés de cette vie passagère ; embrassons à bras ouverts toutes les mortifications et afflictions que nous rencontrerons en notre chemin, puisque nous sommes assurés que ces peines prendront fin et qu'elles se termineront avec notre vie, après laquelle il n'y aura que joies, que contentements et consolations éternelles.

Ainsi soit-il.

 

 

  • Sacrosanctum Concilium 29

    Extrait de la Constitution Sacrosanctum Concilium

    SC 29. Même les servants, les lecteurs, les commentateurs et ceux qui appartiennent à la Schola cantorum s'acquittent d'un véritable ministère liturgique. C'est pourquoi ils exerceront leur fonction avec toute la piété sincère et le bon ordre qui conviennent à un si grand ministère, et que le peuple de Dieu exige d'eux à bon droit.          
    Aussi faut-il soigneusement leur inculquer l'esprit de la liturgie, selon la mesure de chacun, et les former à jouer leur rôle de façon exacte et ordonnée.