1965 Mysterium fidei
- 03/09/1965
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Lettre Encyclique Mysterium fidei de Sa Sainteté le Pape Paul VI
sur la doctrine et le culte de la sainte Eucharistie
À Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires des lieux, au clergé et aux fidèles du monde entier
Vénérables Frères,
Mystère de foi, don accordé à l’Église, par son Époux, en gage de son immense amour, l’Eucharistie a toujours été religieusement gardée par l’Église catholique comme un trésor du plus haut prix et a fait l’objet de sa part, au IIe Concile du Vatican, d’une nouvelle et solennelle profession de foi et de culte.
Dans l’étude de la restauration de la Sainte Liturgie, les Pères du Concile, soucieux du bien de l’Église universelle, n’ont rien eu plus à cœur que de porter les fidèles à une participation active à la célébration eucharistique : les chrétiens se voient pressés d’apporter une foi entière et une dévotion profonde à ce mystère très saint, de l’offrir à Dieu en union avec le prêtre comme sacrifice pour leur salut personnel et celui du monde entier, et de prendre cet aliment pour se nourrir spirituellement.
L’Eucharistie, centre de la liturgie
Si la Sainte Liturgie occupe la première place dans la vie de l’Église, elle a, peut-on dire, son cœur et son centre dans l’Eucharistie, puisque celle-ci est la fontaine de vie où nous trouvons de quoi nous purifier et nous fortifier, en sorte que nous ne vivions plus pour nous mais pour Dieu, et que nous nous unissions entre nous par le lien si étroit de la charité.
Pour mettre en évidence le rapport intime qui joint la piété à la foi, les Pères du Concile ont confirmé l’enseignement constamment maintenu et dispensé par l’Église et solennellement défini au Concile de Trente ; ils ont tenu à introduire l’exposé sur le mystère sacré de l’Eucharistie par cette synthèse de vérité : « Notre Sauveur, à la dernière Cène, la nuit où il fut livré, a institué le Sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang, afin de perpétuer ainsi le Sacrifice de la Croix à travers les siècles jusqu’à sa venue, laissant de la sorte à l’Église, son Épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection ; sacrement de piété, signe d’unité, lien de charité, banquet pascal, où on reçoit le Christ, où l’âme est comblée de grâce et par quoi est accordé le gage de la gloire à venir » (1).
Ces paroles exaltent en même temps le Sacrifice, qui est de l’essence même de la Messe qu’on célèbre chaque jour, et le Sacrement, auquel les fidèles prennent part quand dans la Sainte Communion ils mangent la chair du Christ et boivent son sang et reçoivent la grâce, anticipation de la vie éternelle ; remède d’immortalité, selon le mot du Seigneur. « Qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (2).
La restauration de la Liturgie produira donc, Nous en avons le ferme espoir, des fruits abondants de dévotion eucharistique ; ainsi la Sainte Église, présentant ce signe salutaire de piété, progressera de jour en jour vers l’unité parfaite (3) et conviera à l’unité de la foi et de la charité tous ceux qui ont la fierté de porter le nom de chrétiens, les attirant avec délicatesse sous l’action de la grâce divine.
Il Nous semble entrevoir ces fruits et en goûter comme les prémices dans la joie sincère et l’empressement avec lesquels les fils de l’Église catholique ont accueilli la Constitution sur la restauration de la Liturgie, et aussi dans la publication de nombreux travaux de valeur, qui visent à scruter avec plus de profondeur et à faire connaître avec plus de fruit la doctrine concernant la Sainte Eucharistie, spécialement en ce qui regarde les rapports de ce mystère avec celui de l’Église.
C’est pour Nous un grand sujet de réconfort et de joie ; Nous Nous plaisons à vous en faire part, Vénérables Frères, afin qu’avec Nous vous remerciez Dieu, auteur de tout bien, qui par son Esprit gouverne l’Église et la rend féconde en accroissements de vertu.
Sujets de préoccupations pastorale et d’inquiétude
Pourtant, Vénérables Frères, les motifs ne manquent pas, précisément dans le domaine dont Nous parlons, d’être soucieux et préoccupés ; la conscience de Notre devoir apostolique ne Nous permet pas de le taire.
Nous savons en effet que parmi les personnes qui parlent ou écrivent sur ce mystère très saint, il en est qui répandent au sujet des messes privées, du dogme de la transsubstantiation et du culte eucharistique certaines opinions qui troublent les esprits des fidèles ; elles causent une grande confusion d’idées touchant les vérités de la foi, comme s’il était loisible à qui que ce soit de laisser dans l’oubli la doctrine précédemment définie par l’Église ou de l’interpréter de manière à appauvrir le sens authentique des termes ou énerver la force dûment reconnue aux notions.
Non, il n’est pas permis, soit dit par manière d’exemple, de prôner la messe appelée « communautaire » de telle sorte qu’on déprécie la messe privée ; ni d’insister sur l’aspect de signe sacramentel comme si la fonction symbolique, que nul ne conteste à la Sainte Eucharistie, exprimait de façon exhaustive le mode de présence du Christ dans ce sacrement ; il n’est pas permis de traiter du mystère de la transsubstantiation sans allusion à la prodigieuse conversion de toute la substance du pain au corps du Christ et de toute la substance du vin au sang du Seigneur conversion dont parle le Concile de Trente – et d’en rester simplement à ce qu’on nomme « transsignification » et « transfinalisation » ; il n’est pas permis de présenter et de suivre dans la pratique l’opinion selon laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait plus présent dans les hosties consacrées qui restent après la célébration du Sacrifice de la Messe.
Chacun voit comme ces opinions, et d’autres du même genre qui ont été lancées, compromettent la foi et le culte envers la divine Eucharistie.
Le Concile a suscité l’espérance d’un nouveau rayonnement de piété eucharistique qui gagne toute l’Église ; il ne faut pas que cet espoir soit frustré et que le bon grain soit étouffé par les opinions erronées déjà semées çà et là. C’est pourquoi Nous avons pris le parti de vous entretenir de ce sujet si important, Vénérables Frères, et, en vertu de Notre autorité apostolique, de vous faire part de Notre pensée en la matière.
Certes Nous ne nions pas, chez ceux qui donnent cours aux opinions en question, le désir louable de scruter un si grand mystère, d’en explorer les inépuisables richesses et d’en découvrir le sens aux hommes de notre temps. Ce désir, Nous le reconnaissons et Nous l’approuvons. Mais Nous ne pouvons approuver les opinions émises par ces chercheurs et Nous sommes conscient de Notre devoir de vous avertir du danger sérieux qu’elles font courir à la vraie foi.
La sainte Eucharistie est un mystère de foi
En premier lieu, Nous tenons à rappeler une vérité que vous savez parfaitement mais qu’il faut tenir présente a l’esprit pour écarter toute contamination de rationalisme. Tant de catholiques ont scellé de leur sang cette vérité ; d’illustres pères et Docteurs de l’Église l’ont constamment professée et enseignée : l’Eucharistie est un mystère très élevé et même proprement, comme le dit la Liturgie, le mystère de foi. Notre Prédécesseur Léon XIII, d’heureuse mémoire, le remarque avec tant de sagesse : « En ce seul mystère sont renfermées en singulière abondance des merveilles diverses, toutes les réalités surnaturelles » (4).
De ce mystère nous ne pouvons donc nous approcher qu’avec un humble respect, sans nous tenir au raisonnement humain, qui doit se taire, mais en nous attachant fermement à la Révélation divine.
Vous savez quelle élévation de langage et quelle piété éclairée saint Jean Chrysostome a trouvées pour parler du mystère eucharistique ; un jour, instruisant ses fidèles à ce sujet, il eut ces expressions si heureuses : « Inclinons-nous devant Dieu, sans protester, même si ce qu’Il nous dit paraît contraire à notre raison et à notre intelligence ; sa parole doit prévaloir sur celles-ci. Agissons de même à l’égard du Mystère (l’Eucharistie), sans nous arrêter à ce qui tombe sous les sens mais en adhérant à ses paroles, car sa parole ne peut tromper » (5).
Souvent les Docteurs Scolastiques ont repris des affirmations identiques. La présence du véritable Corps du Christ et du véritable Sang du Christ dans ce sacrement, « on ne l’apprend point par les sens, dit saint Thomas, mais par la foi seule, laquelle s’appuie sur l’autorité de Dieu. C’est pourquoi, commentant le texte de saint Luc 22, 19 : « Ceci est mon corps qui sera livré pour vous », Cyrille déclare : “Ne va pas te demander si c’est vrai, mais bien plutôt accueille avec foi les paroles du Seigneur, parce que Lui, qui est la vérité, ne ment pas” » (6).
Aussi le peuple chrétien, faisant écho au Docteur Angélique, chante-t-il si fréquemment. – « À ton sujet la vue, le toucher, le goût se trompent ; c’est par la voie de la seule ouïe qu’on croit en toute sécurité ; je crois tout ce qu’a dit le Fils de Dieu : rien de plus vrai que cette parole de vérité » (7).
Il y a plus : saint Bonaventure affirme que le mystère eucharistique est « le plus difficile à croire » non seulement des mystères impliqués dans les sacrements, mais de tous les mystères de la foi (8). Cela nous est d’ailleurs suggéré par l’Évangile, quand il raconte que beaucoup de disciples du Christ, entendant ce qu’il déclarait de sa chair à manger et de son sang à boire, reculèrent et abandonnèrent le Seigneur, en avouant : « Ce qu’il dit est raide! Qui peut l’écouter ? » Et comme Jésus demandait si les Douze aussi voulaient s’en aller, Pierre donna l’attestation prompte et ferme de la foi qui était la sienne et celle des Apôtres, en cette réponse admirable : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (9).
Il est donc logique pour nous de suivre comme une étoile, dans notre exploration de ce mystère, le magistère de l’Église : le Divin Rédempteur a confié à sa garde et à son interprétation la Parole de Dieu écrite ou transmise par tradition orale ; nous sommes assurés que « même sans les recherches dont la raison est capable, même sans les explications que le langage peut fournir, ce que depuis l’antiquité l’Église entière proclame et croit selon la véritable foi catholique, cela reste toujours vrai » (10).
Mais cela ne suffit pas. L’intégrité de la foi étant sauve, il faut de plus observer l’exactitude dans la façon de s’exprimer, de peur que l’emploi peu circonspect de certains termes ne suggère, ce qu’à Dieu ne plaise, des opinions fausses affectant la foi par laquelle nous connaissons les mystères les plus élevés. C’est le lieu de rappeler l’avertissement formulé par saint Augustin, à propos de la différence qui sépare, pour la manière de dire, les chrétiens des philosophes : « Les philosophes, dit-il, parlent en toute liberté, sans redouter de blesser l’auditeur religieux en des choses très difficiles à saisir. Mais nous sommes tenus de régler nos paroles sur une norme déterminée, pour éviter que la liberté d’expression ne donne lieu à telle opinion impie au plan même du sens des paroles » (11).
Au prix d’un travail poursuivi au long des siècles, et non sans l’assistance de l’Esprit Saint, l’Église a fixé une règle de langage et l’a confirmée avec l’autorité des Conciles. Cette règle a souvent donné à l’orthodoxie de la foi son mot de passe et ses enseignes. Elle doit être religieusement respectée. Que personne ne s’arroge le droit de la changer à son gré ou sous couleur de nouveauté scientifique. Qui pourrait jamais tolérer un jugement d’après lequel les formules dogmatiques appliquées par les Conciles œcuméniques aux mystères de la Sainte Trinité et de l’Incarnation ne seraient plus adaptées aux esprits de notre temps, et devraient témérairement être remplacées par d’autres ? De même on ne saurait tolérer qu’un particulier touche de sa propre autorité aux formules dont le Concile de Trente s’est servi pour proposer à la foi le mystère eucharistique. C’est que ces formules, comme les autres que l’Église adopte pour l’énoncé des dogmes de foi, expriment des concepts qui ne sont pas liés à une certaine forme de culture, ni à une phase déterminée du progrès scientifique, ni à telle ou telle école théologique ; elles reprennent ce que l’esprit humain emprunte à la réalité par l’expérience universelle et nécessaire ; et en même temps ces formules sont intelligibles pour les hommes de tous les temps et de tous les lieux. On peut assurément, comme cela se fait avec d’heureux résultats, donner de ces formules une explication plus claire et plus ouverte, mais ce sera toujours dans le même sens selon lequel elles ont été adoptées par l’Église : ainsi la vérité immuable de la foi restera intacte tandis que progressera l’intelligence de la foi. Car comme l’enseigne le premier Concile du Vatican, dans les dogmes sacrés « on doit toujours garder le sens que notre Mère la Sainte Église a déclaré une fois pour toutes et que jamais il n’est permis de s’en écarter sous le prétexte spécieux d’intelligence plus profonde » (12).
Le mystère eucharistique se réalise dans le Sacrifice de la Messe
À présent Nous aimons, Vénérables Frères, à rappeler pour l’édification et la joie de tous, la doctrine que l’Église tient de la tradition et enseigne dans un accord unanime.
D’abord il est bon de redire ce qui forme comme la synthèse et le sommet de cet enseignement : dans le mystère eucharistique est représenté de façon merveilleuse le Sacrifice de la Croix consommé une fois pour toutes sur le Calvaire ; ce Sacrifice y est sans cesse rendu présent à notre souvenir et sa vertu salutaire y est appliquée à la rémission des péchés qui se commettent chaque jour (13). Notre Seigneur Jésus-Christ en instituant le mystère eucharistique a scellé de son sang la Nouvelle Alliance dont Il est le Médiateur, comme déjà Moïse avait scellé l’Ancienne Alliance dans le sang des victimes (14). L’Évangile le rapporte : à la dernière Cène, « ayant pris le pain, Il rendit grâces et rompit le pain puis le donna aux Apôtres en disant : Ceci est mon Corps donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. Pareillement Il prit la coupe, après le repas, en disant : Ceci est la coupe de la Nouvelle Alliance dans mon sang répandu pour vous » (15). En prescrivant aux Apôtres de faire cela en souvenir de Lui, Il voulait du même coup que le geste se renouvelât perpétuellement.
Et l’Église a fidèlement exécuté cette consigne, restant attachée aux enseignements des Apôtres et se réunissant pour célébrer le Sacrifice Eucharistique. « Et tous étaient assidus aux enseignements des Apôtres et aux réunions communes, à la fraction du pain et aux prières » (16). Et telle était la ferveur que les fidèles y puisaient qu’on pouvait dire à leur sujet. « La masse des croyants n’avait qu’un coeur et qu’une âme » (17).
À son tour l’Apôtre Paul, qui nous a transmis avec une extrême fidélité ce qu’il avait appris du Seigneur, « parle ouvertement du Sacrifice Eucharistique quand il explique que les chrétiens ne peuvent avoir part aux sacrifices des païens, précisément parce qu’ils sont devenus participants de la table du Seigneur ». La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas une communion au sang du Christ ? Et le pain que nous rompons n’est-il pas une participation au corps du Christ ? … Vous ne pouvez boire à la coupe du Seigneur et à la coupe des démons ; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons » (18).
Cette oblation nouvelle du Nouveau Testament, que Malachie avait prédite (19), l’Église, instruite par le Seigneur et les Apôtres, l’a toujours offerte « non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles vivants, mais aussi pour ceux qui sont morts dans le Christ et ne sont pas encore pleinement purifiés » (20). Pour ne rien dire des autres témoignages, évoquons seulement celui de saint Cyrille de Jérusalem, qui, formant les néophytes dans la foi chrétienne, prononça ces paroles mémorables « Après avoir accompli le sacrifice spirituel, rite non sanglant, nous adressons à Dieu, sur cette hostie de propitiation, des supplications pour la paix partout dans l’Église, pour l’empereur, les armées et les alliés, pour les malades et les gens éprouvés, et en général nous prions tous pour tous ceux qui sont morts parmi nous ; nous sommes convaincus que cette invocation sera de très grand secours pour les âmes en faveur desquelles monte la prière tandis qu’est présente la victime sainte et redoutable ». À l’appui de son enseignement le Docteur apporte l’exemple de la couronne que l’on tresse pour l’empereur, en vue d’obtenir le pardon des exilés, et il conclut : « De même nous aussi nous présentons à Dieu des prières pour les défunts, même s’ils furent pécheurs ; nous ne Lui tressons pas une couronne, mais nous Lui offrons en rançon de nos péchés le Christ immolé, tâchant de rendre Dieu propice à nous et à eux » (21). Saint Augustin atteste que la coutume d’offrir le sacrifice de notre rédemption pour les défunts comme pour les vivants était en vigueur dans l’Église de Rome (22) et en même temps que cette coutume s’observait dans l’Église entière (23).
Mais il est autre chose que Nous Nous plaisons à ajouter, vu sa grande utilité pour éclairer le mystère de l’Église : celle-ci, jouant en union avec le Christ le rôle de prêtre et de victime, est tout entière à offrir le Sacrifice de la Messe et elle y est offerte tout entière. Cet admirable enseignement, déjà livré par les Pères (24) a été, à une époque récente, exposé par Notre Prédécesseur Pie XII d’heureuse mémoire (25) et en dernier lieu il a été formulé par le IIe Concile du Vatican dans la Constitution De Ecclesia à propos du Peuple de Dieu (26). C’est Notre vif désir de le voir toujours davantage expliqué et plus profondément imprimé dans l’âme des fidèles, sans détriment de la juste différence de nature et non seulement de degré qui distingue le sacerdoce des fidèles du sacerdoce hiérarchiques (27). Il n’est pas de doctrine plus apte à alimenter la piété eucharistique et à mettre en valeur la dignité de tous les fidèles comme aussi à presser les coeurs d’atteindre le sommet de la sainteté – lequel consiste simplement à se mettre tout au service de la Majesté divine par une généreuse offrande de soi-même.
Il faut aussi rappeler la conclusion qui découle de cette doctrine concernant le caractère public et social de toute Messe (28). En effet, la Messe, même si elle est célébrée en particulier par un prêtre, n’est jamais pour autant une démarche privée mais elle est action du Christ et de l’Église, qui a appris à s’offrir elle-même, dans le sacrifice qu’elle offre, en sacrifice universel, appliquant au salut du monde entier la vertu rédemptrice unique et infinie du Sacrifice de la Croix. Il n’est pas de Messe qui ne soit offerte pour le salut du monde entier et non seulement pour le salut de quelques personnes.
Par conséquent, s’il est hautement convenable qu’à la célébration de la Messe les fidèles participent activement en grand nombre, il n’y a pas à blâmer mais au contraire à approuver la célébration de la Messe en privé, conformément aux prescriptions et aux traditions de la Sainte Église, par un prêtre avec un seul ministre pour la servir. C’est que cette Messe assure une grande abondance de grâces particulières au bénéfice soit du prêtre lui-même soit du peuple fidèle et de toute l’Église et même du monde entier, grâces qui ne pourraient être obtenues aussi largement par la seule Communion.
C’est pourquoi Nous recommandons avec une paternelle insistance aux prêtres, qui à un titre particulier sont dans le Seigneur Notre joie et Notre couronne, de rester conscients du pouvoir que l’Évêque consécrateur leur conféra d’offrir à Dieu le Sacrifice et de célébrer des Messes tant pour les vivants que pour les défunts au nom du Seigneur (29) et de célébrer chaque jour la Messe en toute dignité et dévotion, afin qu’eux-mêmes et les autres fidèles profitent de l’application des fruits abondants issus du Sacrifice de la Croix. De cette façon ils contribueront grandement aussi au salut du genre humain.
Dans le sacrifice de la Messe, le Christ se rend sacramentellement présent
Ce que Nous venons de résumer touchant le Sacrifice de la Messe Nous amène à dire aussi un mot du Sacrement de l’Eucharistie : Sacrifice et Sacrement s’intègrent ensemble dans le même mystère en sorte qu’on ne peut séparer l’un de l’autre. Le Seigneur s’immole de manière. non sanglante dans le Sacrifice de la Messe, qui représente le Sacrifice de la Croix, en appliquant la vertu salutaire, au moment où par l’effet des paroles de la consécration il commence d’être sacramentellement présent comme nourriture spirituelle des fidèles sous les espèces du pain et du vin.
Bien divers sont, nous le savons tous, les modes de présence du Christ à son Église. Il est utile de reprendre un peu plus largement cette vérité si belle que la Constitution sur la Sainte Liturgie a brièvement exposées (30). Le Christ est présent à son Église qui prie, étant Lui-même Celui qui « prie pour nous, qui prie en nous et qui est prié par nous : il prie pour nous comme notre Prêtre ; il prie en nous comme notre Chef ; il est prié par nous comme notre Dieu » (31) ; c’est lui-même qui a promis : « Là où se trouveront réunis en mon nom deux ou trois, je m’y trouverai au milieu d’eux (32) ».
Il est présent à son Église qui accomplit les oeuvres de miséricorde, non seulement parce que, quand nous faisons un peu de bien à l’un de ses frères les plus humbles nous le faisons au Christ lui-même, (33) mais aussi parce que c’est le Christ lui-même qui opère ces actions par le moyen de son Église y venant toujours au secours des hommes avec sa charité divine. Il est présent à l’Église qui dans son pèlerinage terrestre aspire au port de la vie éternelle,, puisqu’Il habite en nos coeurs par la foi (34) et qu’Il y répand la charité par l’action de l’Esprit Saint que lui-même nous a donné (35).
D’une autre façon, non moins véritable, Il est présent à son Église qui prêche, puisque l’Évangile qu’elle annonce est Parole de Dieu et que cette Parole est proclamée au nom et par l’autorité du Christ, Verbe de Dieu incarné, et avec son assistance, afin qu’il y ait « un seul troupeau se confiant à un unique berger » (36).
Il est présent à l’Église qui dirige et gouverne le Peuple de Dieu, puisque le pouvoir sacré découle du Christ, et que le Christ, « Pasteur des Pasteurs », assiste les Pasteurs qui exercent ce pouvoir (37) selon la promesse faite aux Apôtres. De plus, et d’une manière plus sublime encore, le Christ est présent à son Église qui en son nom célèbre le Sacrifice de la Messe et administre les Sacrements. À propos de la présence du Christ dans l’offrande du Sacrifice de la Messe, laissez- Nous citer ce que saint Jean Chrysostome, transporté d’admiration, dit avec justesse et éloquence : « je veux ajouter une chose vraiment étonnante, mais ne soyez point surpris ni troublés. Qu’est-ce donc ? L’offrande est la même, qui que ce soit qui la présente, ou Paul ou Pierre ; cette même offrande que le Christ confia aux disciples et que maintenant les prêtres accomplissent : celle-ci n’est pas inférieure à celle-là, parce qu’elle ne tient pas sa sainteté des hommes mais de Celui qui la fit sainte. Comme les paroles dites par Dieu sont celles-là même qu’à présent le prêtre prononce, ainsi l’oblation est la même » (38).
Personne non plus n’ignore que les Sacrements sont action du Christ qui les administre par le moyen des hommes. Pour cette raison ils sont saints d’eux-mêmes, et par la vertu du Christ ils confèrent la grâce à l’âme en atteignant le corps.
On reste émerveillé devant ces divers modes de présence du Christ et on y trouve à contempler le mystère même de l’Église. Pourtant bien autre est le mode, vraiment sublime, selon lequel le Christ est présent à l’Église dans le Sacrement de l’Eucharistie. C’est pourquoi celui-ci est parmi tous les Sacrements « le plus doux pour la dévotion, le plus beau pour l’intelligence, le plus saint pour ce qu’il renferme » (39) ; oui il renferme le Christ lui-même et il est, « comme la perfection de la vie spirituelle et la fin à laquelle tendent tous les Sacrements » (40).
Cette présence, on la nomme « réelle », non à titre exclusif, comme si les autres présences n’étaient pas « réelles », mais par excellence ou « antonomase », parce qu’elle est substantielle, et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier. (41)
Ce serait donc une mauvaise explication de cette sorte de présence que de prêter au Corps du Christ glorieux une nature spirituelle (« pneumatique ») omniprésente ; ou de réduire la présence eucharistique aux limites d’un symbolisme, comme si ce Sacrement si vénérable ne consistait en rien autre qu’en un signe efficace « de la présence spirituelle du Christ et de son union intime avec les fidèles, membres du Corps Mystique » (42).
Assurément le symbolisme eucharistique a été abondamment étudié par les Pères et les Scolastiques, surtout par rapport à l’unité de l’Église ; le Concile de Trente a résumé cette doctrine quand il enseigne que notre Sauveur a laissé à son Église l’Eucharistie « comme symbole de son unité et de la charité par laquelle Lui-même veut voir tous les chrétiens intimement unis entre eux », « et donc comme un symbole de ce Corps unique dont Il est la Tête » (43).
Aux premiers débuts de la littérature chrétienne, l’auteur inconnu de l’ouvrage intitulé Didachè ou Doctrine des XII Apôtres écrivait à ce sujet : « Pour ce qui regarde l’Eucharistie, rendez grâce de cette manière : … comme ce pain rompu était précédemment dispersé sur les montagnes et devint un par le rassemblement des grains, qu’ainsi ton Église se rassemble des confins de la terre en ton Royaume» (44).
Pareillement saint Cyprien, défendant l’unité de l’Église contre le schisme, écrit : « Enfin les Sacrifices mêmes du Seigneur mettent en lumière l’unité des chrétiens, soudés par une charité solide et infrangible. Car quand le Seigneur appelle son corps le pain composé de l’union d’une multitude de grains, Il désigne notre peuple réuni, ce peuple que Lui-même portait ; et quand Il appelle son sang le vin tiré d’une quantité de grappes et de raisins dont le jus a été exprimé et mêlé, Il désigne de même notre troupeau unifié par la fusion de toute une multitude » (45).
D’ailleurs, avant tous les autres, l’Apôtre J’avait dit aux Corinthiens : « Puisqu’il y a un seul pain, nous ne formons à nous tous qu’un seul corps, car tous nous avons part à ce pain unique » (46).
Mais si le symbolisme eucharistique nous fait bien saisir l’effet propre de ce Sacrement, qui est l’unité du Corps Mystique, il ne rend pas compte et il ne donne pas l’expression de ce qui dans la nature du Sacrement le distingue des autres. Car l’enseignement constamment départi par l’Église aux catéchumènes, le sens du peuple chrétien, la doctrine définie par le concile de Trente et les paroles elles-mêmes par lesquelles le Christ institua la Sainte Eucharistie, nous obligent de professer que « l’Eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a souffert pour nos péchés et que le Père a ressuscité dans sa bonté » (47). Aux paroles du martyr Ignace Nous joignons volontiers celles de Théodore de Mopsueste, qui est en cela témoin de la foi de l’Église : C’est que, écrit-il, le Seigneur parlant aux disciples « ne dit point : ceci est le symbole de mon Corps et ceci est le symbole de mon Sang, mais : ceci est mon Corps et ceci est mon Sang, nous apprenant à ne pas considérer la nature de la chose qui s’offrait à nos sens ; en effet par l’action de la grâce cet objet a été changé en chair et en sang » (48).
Le Concile de Trente, appuyé sur cette foi de l’Église, « affirme ouvertement et sans détour que dans le vénérable Sacrement de la Sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, est présent vraiment, réellement et substantiellement sous l’apparence de ces réalités sensibles ». Notre Sauveur est donc présent dans son humanité non seulement à la droite du Père mais en même temps dans le Sacrement de l’Eucharistie « en un mode d’existence que nos mots peuvent sans doute à peine exprimer, mais que notre intelligence, éclairée par la foi, peut cependant reconnaître et que nous devons croire fermement comme une chose possible à Dieu » (49).
Le Christ Notre Seigneur est présent dans le Sacrement de l’Eucharistie
Mais afin de parer à tout malentendu concernant ce mode de présence supérieur aux lois naturelles et qui dans son genre constitue le plus grand des miracles (50) il faut écouter avec docilité la voix de l’Église dans son enseignement et sa prière. Or cette voix, qui ne cesse de faire écho à la voix du Christ, nous assure que le Christ ne se rend présent dans ce Sacrement que par la conversion de toute la substance du pain au corps du Christ et de toute la substance du vin au sang du Christ ; conversion singulière et merveilleuse, que l’Église catholique dénomme en toute justesse et propriété de terme transsubstantiation (51). Celle-ci accomplie, les espèces du pain et du vin acquièrent sans doute une nouvelle signification et une fin nouvelle puisqu’il n’y a plus le pain ordinaire et la boisson ordinaire, mais le signe d’une chose sacrée et le signe d’un aliment spirituel ; mais les espèces tiennent cette signification et cette finalité nouvelles du fait qu’elles portent une réalité nouvelle, que nous appelons à bon droit ontologique.
En effet, sous les espèces dont nous parlons, il n’y a plus ce qui s’y trouvait auparavant, mais quelque chose de tout différent ; et cela non seulement en dépendance du jugement que porte la foi de l’Église, mais par le fait de la réalité objective elle-même ; car une fois la nature ou substance du pain et du vin changée en corps et sang du Christ, il ne subsiste du pain et du vin rien que les seules espèces, sous lesquelles le Christ tout entier est présent en sa réalité physique, et même corporelle, bien que selon un mode de présence différent de celui selon lequel les corps occupent tel ou tel endroit.
D’où le souci qu’eurent les Pères d’avertir les fidèles de ne pas se fier, dans la considération de ce Sacrement très vénérable, aux sens, qui signalent les caractéristiques du pain et du vin, mais aux paroles du Christ, qui ont le pouvoir de changer, transformer, de « convertir jusqu’aux éléments » le pain et le vin, au corps et au sang du Seigneur. En vérité, comme les Pères le répètent souvent, la puissance qui opère ce prodige est la puissance même de Dieu Tout-Puissant, qui au commencement du temps a créé l’univers à partir de rien. « Instruit de ces vérités, dit saint Cyrille de Jérusalem au terme de son discours sur les mystères de la foi, et pénétré d’une foi vigoureuse, pour laquelle ce qui semble du pain n’en est pas, malgré la sensation du goût, mais est le Corps du Christ, et ce qui semble du vin n’en est pas, en dépit de la saveur éprouvée, mais est le Sang du Christ… fortifie ton coeur en mangeant ce pain comme une nourriture spirituelle et donne la joie au visage de ton âme » (52).
Et saint Jean Chrysostome d’insister : « Ce n’est pas l’homme qui fait que les choses offertes deviennent Corps et Sang du Christ, mais le Christ lui-même, qui a été crucifié pour nous. Le prêtre, figure du Christ, prononce ces paroles, mais leur efficacité et la grâce sont de Dieu. Ceci est mon corps : cette parole transforme les choses offertes » (53). Et avec Jean, évêque de Constantinople, est parfaitement d’accord Cyrille, évêque d’Alexandrie, qui écrit dans son commentaire de l’Évangile de S. Matthieu : « (Le Christ) a dit au mode indicatif : ceci est mon corps et ceci est mon sang, afin que tu ne penses pas que les choses sont une simple image, mais que tu croies que les choses offertes sont transformées réellement au corps et au sang du Christ, d’une manière mystérieuse, par la Toute-Puissance de Dieu ; prenant part à ces réalités, nous recevons la force vivifiante et sanctifiante du Christ » (54).
Et Ambroise, évêque de Milan, dit en parlant clairement de la conversion eucharistique : « Soyons bien persuadés que ceci n’est pas ce que la nature a formé mais ce que la bénédiction a consacré, et que la force de la bénédiction l’emporte sur celle de la nature, parce que par la bénédiction la nature elle-même se trouve changée ». Puis, pour confirmer la vérité du mystère, il rappelle maints exemples de miracles rapportés par l’Écriture Sainte, notamment Jésus né de la Vierge Marie, et puis, passant à l’oeuvre de la création, il conclut : « La parole du Christ, qui a pu faire de rien ce qui n’existait pas, ne pourrait donc changer les choses existantes en ce qu’elles n’étaient pas encore ? Car ce n’est pas moins de donner aux choses leur nature première que de la leur changer » (55).
Mais Nous n’avons pas besoin de multiplier les témoignages et il est plus utile de rappeler la fermeté de foi avec laquelle l’Église unanime résista à Béranger, qui, cédant aux difficultés soulevées par la raison, osa le premier nier la conversion eucharistique ; l’Église le menaça à plusieurs reprises de condamnation pour le cas où il ne se rétracterait pas. C’est ainsi que Notre Prédécesseur Grégoire VII lui imposa d’émettre sous la foi du serment la déclaration suivante : « je crois de coeur et je confesse de bouche que le pain et le vin qui sont sur l’autel sont, par le mystère de la prière sainte et par les paroles de notre Rédempteur, changés substantiellement en la chair véritable, propre et vivifiante, et au sang de notre Seigneur Jésus-Christ, et qu’après la consécration ils sont le vrai corps du Christ, qui est né de la Vierge, qui, offert pour le salut du monde, a été suspendu à la Croix, qui siège à la droite du Père, ainsi que le vrai sang du Christ, qui a coulé de son côté. Il n’y est pas seulement figurativement et par la vertu du sacrement, mais dans sa nature propre et dans sa véritable substance » (56).
À ces paroles correspond – exemple admirable de la stabilité de la foi catholique – ce que les Conciles Œcuméniques du Latran, de Constance, de Florence et finalement le Concile de Trente, ont enseigné sur le mystère de la conversion eucharistique, soit en exposant la doctrine de l’Église soit en condamnant certaines erreurs.
Après le Concile de Trente, Notre Prédécesseur Pie VI, pour réagir contre les erreurs du Synode de Pistoie, avertit sérieusement les curés, à qui incombe le devoir d’enseigner, de ne pas négliger de parler de la transsubstantiation, qui constitue un article de foi (57).
De même Notre Prédécesseur Pie XII d’heureuse mémoire rappela les limites à respecter par quiconque se livre à une discussion plus poussée touchant le mystère de la transsubstantiation (58).
Nous-même, au récent Congrès Eucharistique National de l’Italie, tenu à Pise, Nous avons, suivant Notre devoir apostolique, donné une attestation publique et solennelle de la foi de l’Église (59).
Du reste l’Église catholique n’a pas seulement enseigné sans cesse mais elle a également vécu la foi en la présence du Corps et du Sang du Seigneur dans l’Eucharistie ; à ce grand Sacrement elle adresse l’adoration, le culte de latrie, qui ne peut être rendu qu’à Dieu. À ce propos saint Augustin nous dit : « Dans cette chair (le Seigneur) a marché sur notre terre et Il nous a donné cette même chair à manger pour notre salut ; et personne ne la prend sans l’avoir d’abord adorée… de sorte qu’en l’adorant nous ne péchons point mais au contraire nous péchons si nous ne l’adorons pas » (60).
Sur le culte d’adoration dû au sacrement de l’Eucharistie
L’Église catholique fait profession de rendre ce culte d’adoration au Sacrement de l’Eucharistie non seulement durant la Messe mais aussi en dehors de sa célébration ; elle conserve avec le plus grand soin les hosties consacrées et les présente aux fidèles pour qu’ils les vénèrent avec solennité.
Cette vénération est attestée par de nombreux documents très anciens de l’Église. En effet les Pasteurs de l’Église exhortaient toujours les fidèles à garder avec un soin extrême l’Eucharistie qu’ils emportaient chez eux. « C’est en vérité le Corps du Christ que les fidèles ont à manger », remarquait saint Hippolyte (61). On sait que les fidèles se jugeaient coupables, et avec raison, comme le dit Origène, si, devenus dépositaires du corps du Seigneur, et tout en l’entourant de précautions et d’un respect extrêmes, ils en laissaient par mégarde tomber une parcelle (62).
La sévérité avec laquelle les Pasteurs réprouvaient les manques de respect, Novatien en apporte le témoignage non suspect : il tient pour condamnable celui qui « sortant de la célébration dominicale et ayant l’Eucharistie sur lui, selon l’usage… n’a pas emporté immédiatement dans sa maison le Corps sacré du Seigneur » mais s’est empressé d’aller au spectacle (63).
Saint Cyrille d’Alexandrie va jusqu’à rejeter comme une absurdité l’opinion de ceux qui prétendaient que l’Eucharistie ne contribue plus aucunement à nous sanctifier s’il s’agit d’un reste d’hostie datant de la veille : « Le Christ n’est pas sujet à altération, dit-il, et son Corps sacré ne change pas, mais en lui subsistent toujours la force, la puissance, la grâce qui vivifie » (64).
On ne peut oublier non plus que dans l’antiquité les fidèles, soit qu’ils fussent exposés à la violence des persécutions, soit que par amour de la vie monastique ils vécussent dans la solitude, avaient coutume de se nourrir de l’Eucharistie même quotidiennement, prenant la Sainte Communion de leurs propres mains, si le prêtre ou le diacre faisait défaut (65).
Ceci soit dit non pour qu’on modifie la manière de garder l’Eucharistie et de recevoir la Sainte Communion, telle qu’elle est établie suivant les lois de l’Église en vigueur aujourd’hui, mais pour nous féliciter de voir la foi de l’Église rester toujours la même.
De cette foi unique est née également la Fête- Dieu ; elle fut célébrée la première fois au diocèse de Liège, spécialement sous l’influence de la Servante de Dieu, la Bienheureuse julienne de Mont Cornillon, et Notre Prédécesseur Urbain IV l’étendit à l’Église universelle. De cette foi tirent leur origine beaucoup d’autres institutions de piété eucharistique qui, sous l’inspiration de la grâce divine, sont toujours allées se multipliant et par lesquelles l’Église catholique s’efforce, comme à l’envi, soit de rendre hommage au Christ soit de le remercier pour un don si grand, soit d’implorer sa miséricorde.
Exhortation à promouvoir le culte eucharistique
Aussi, Vénérables Frères, cette foi qui ne tend qu’à rester fidèle à la parole du Christ et des Apôtres, bannissant toute opinion erronée et nuisible, Nous vous prions de la garder pure et intacte dans le peuple confié à vos soins et à votre vigilance. Veuillez promouvoir, sans épargner paroles et efforts, le culte eucharistique, vers lequel en définitive doivent converger toutes les autres formes de piété. Que sous votre impulsion les fidèles connaissent toujours davantage ce que dit saint Augustin et en fassent l’expérience « Qui veut vivre, il a où vivre et de quoi vivre ; qu’il approche, qu’il croie, qu’il s’incorpore, afin d’être vivifié. Qu’il ne renonce jamais à l’union des membres entre eux, qu’il ne soit pas non plus un membre corrompu, digne d’être retranché, ni un membre difforme qui fasse honte ; qu’il soit un membre beau, habile, sain ; qu’il adhère au corps, qu’il vive de Dieu et pour Dieu ; qu’il travaille maintenant sur terre afin de pouvoir ensuite régner dans le ciel » (66).
Que chaque jour, comme c’est à souhaiter, les fidèles en grand nombre prennent une part active au Sacrifice de la Messe, se nourrissant de la Sainte Communion avec un cœur pur et saint, et qu’ils rendent grâces au Christ Notre Seigneur pour un si grand bienfait.
Qu’ils se rappellent ces paroles : « Le désir de Jésus-Christ et de l’Église de voir tous les fidèles s’approcher tous les jours de la Sainte Table a surtout cet objet : que tous les fidèles, unis à Dieu par l’effet du Sacrement, y puisent la force pour surmonter les passions, pour se purifier des fautes légères quotidiennes et pour éviter les péchés graves, auxquels est sujette la faiblesse humaine» (67).
Qu’au cours de la journée les fidèles ne négligent point de rendre visite au Saint Sacrement, qui doit être conservé en un endroit très digne des églises, avec le plus d’honneur possible, selon les lois liturgiques. Car la visite est une marque de gratitude, un geste d’amour et un devoir de reconnaissance envers le Christ Notre Seigneur présent en ce lieu.
Chacun comprend que la divine Eucharistie confère au peuple chrétien une dignité incomparable. Car non seulement durant l’oblation du Sacrifice et quand se fait le Sacrement, mais encore après, tant que l’Eucharistie est gardée dans les églises et oratoires, le Christ est vraiment l’Emmanuel, le « Dieu avec nous ». Car jour et nuit, il est au milieu de nous et habite avec nous, plein de grâce et de vérité (68) ; il restaure les mœurs, nourrit les vertus, console les affligés, fortifie les faibles et invite instamment à l’imiter tous ceux qui s’approchent de lui, afin qu’à son exemple ils apprennent la douceur et l’humilité de cœur, qu’ils sachent chercher non leurs propres intérêts mais ceux de Dieu. Ainsi quiconque aborde le vénérable Sacrement avec une dévotion particulière et tâche d’aimer d’un cœur généreux le Christ qui nous aime infiniment, éprouve et comprend à fond, non sans joie intime ni sans fruit, le prix de la vie cachée avec le Christ en Dieu (69) il sait d’expérience combien cela en vaut la peine de s’entretenir avec le Christ ; rien de plus doux sur la terre, rien de plus apte à faire avancer dans les voies de la sainteté.
Vous le savez bien aussi, Vénérables Frères, l’Eucharistie est gardée dans les églises et les oratoires comme centre spirituel de la communauté religieuse et paroissiale, et encore de l’Église universelle et de l’humanité entière, parce que sous le voile des saintes espèces elle contient le Christ, Chef invisible de l’Église, Rédempteur du monde, centre de tous les cœurs, « par qui tout existe et nous-mêmes par lui » (70).
Par suite le culte eucharistique porte avec force les âmes à développer l’amour « de société », (71) en vertu duquel nous préférons le bien commun au bien particulier, faisons nôtre la cause de la communauté, de la paroisse, de l’Église universelle, et étendons la charité au monde entier, sachant que partout il v a des membres du Christ.
Puisque, Vénérables Frères, le Sacrement de l’Eucharistie est signe et cause de l’unité du Corps – Mystique, et qu’en ceux qui lui vouent une vénération plus fervente il suscite un esprit ecclésial plus actif, ne cessez de persuader vos fidèles de faire leur, quand ils s’approchent de ce mystère, la cause de l’Église, de prier Dieu sans cesse et de s’offrir eux-mêmes à Dieu en sacrifice agréable pour la paix et l’unité de l’Église. Cela afin que tous les fils de l’Église soient un et qu’ils aient les mêmes dispositions ; qu’il n’y ait point de divisions entre eux mais qu’ils soient parfaitement unis dans un même esprit et un même sentiment, comme le veut l’Apôtre (72) ; et que tous ceux qui ne se trouvent point encore attachés en pleine communion à l’Église catholique mais séparés d’elle jusqu’à un certain point tout en portant avec fierté le nom de chrétiens, arrivent le plus tôt possible, avec l’aide de la grâce divine, à jouir avec nous de cette unité de foi et de communion que le Christ voulut comme caractère distinctif de ses disciples.
Ce désir de prier et de se consacrer à Dieu pour l’unité de l’Église, il intéresse surtout par convenance particulière les religieux et religieuses, puisqu’ils sont à titre spécial voués à l’adoration du Très Saint Sacrement, rassemblés autour de lui en vertu des engagements de leurs vœux. Mais ce souhait de l’unité de tous les chrétiens, le plus sacré et le plus ardent au cœur de l’Église, Nous voulons pour l’exprimer reprendre une fois de plus les paroles mêmes du concile de Trente, dans la conclusion de son décret sur la Sainte Eucharistie : « Pour finir, en son affection paternelle, le saint Concile avertit, prie et conjure par les entrailles de la miséricorde de Dieu (73), ceux qui portent le nom de chrétiens, tous et chacun, de se retrouver et de ne faire enfin une bonne fois qu’un seul cœur dans ce signe de l’unité, dans ce lien de la charité, dans ce symbole de la concorde ; que, se souvenant de la majesté si grande et de l’amour si admirable de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a donné sa vie très chère pour prix de notre salut et qui nous a donné sa chair à manger (74) ils croient et vénèrent les saints mystères de son corps et de son sang avec une foi constante et ferme, avec une ferveur de cœur, avec une piété et un respect qui leur permettent de recevoir fréquemment ce pain supersubstantiel (75). Qu’il soit vraiment la vie de leur âme et la santé perpétuelle de leur esprit, que, fortifiés par son énergie (76) ils parviennent du cheminement de ce pèlerinage de misère à la patrie céleste, pour manger sans aucun voile le pain des Anges (77) qu’ils mangent maintenant sous les voiles sacrés » (78).
Oh ! que le Rédempteur si bon, qu’à l’approche de sa mort demanda au Père que tous ceux qui croiraient en Lui ne fassent qu’un, comme Lui et le Père sont un (79), daigne exaucer au plus tôt ce vœu qui est le Nôtre et celui de toute l’Église : que tous, d’une seule voix et d’une même foi, nous célébrions le mystère de l’Eucharistie et que, rendus participants du corps du Christ, nous ne formions qu’un seul corps (80) unifié par les mêmes liens par lesquels Lui-même voulut que son unité soit assurée.
Et Nous Nous adressons avec une charité paternelle à ceux-là aussi qui appartiennent aux vénérables Églises d’Orient, au sein desquelles brillèrent tant de Pères illustres, dont Nous avons pris plaisir à rappeler en cette lettre les témoignages touchant l’Eucharistie. Nous Nous sentons pleins de joie à voir votre foi envers l’Eucharistie – elle coïncide avec la nôtre –, à entendre les prières liturgiques par lesquelles vous célébrez un si grand mystère, à admirer votre culte eucharistique et à lire vos théologiens qui exposent et défendent la doctrine concernant ce Sacrement si vénérable.
Que la Bienheureuse Vierge Marie, de laquelle le Christ Notre Seigneur a voulu recevoir cette chair qui est renfermée dans le Sacrement sous les apparences du pain et du vin, qui est offerte et mangée (81), et tous les Saints et Saintes de Dieu, ceux-là spécialement qui eurent une dévotion plus ardente envers la divine Eucharistie, intercèdent près du Père des miséricordes, afin que la foi commune et le culte eucharistique alimentent et renforcent l’unité de communion entre tous les chrétiens. Notre âme est pénétrée des paroles du saint martyr Ignace, qui met en garde les fidèles de Philadelphie contre les dommages des déviations et des schismes et préconise comme remède l’Eucharistie : « Tâchez donc, dit-il, de pratiquer une seule Eucharistie ; car une est la chair de Notre Seigneur Jésus-Christ ; il y a un seul calice dans l’unité de son sang, un seul autel, un seul évêque … » (82). Forts de l’heureux espoir que le progrès du culte eucharistique apportera de nombreux bienfaits à l’Église et au monde entier, Nous vous accordons avec beaucoup d’affection la Bénédiction Apostolique, en gage des grâces du Ciel, à vous, Vénérables Frères, aux prêtres, aux religieux, à tous ceux qui vous prêtent leur concours, et à tous les fidèles confiés à vos soins.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Pie X, le 3 septembre 1965, en la troisième année de Notre Pontificat.
PAUL VI
(1) Const. De sacra Liturgia, n. 47 ; AAS, LVI, 1964, p. 113 ; Concile Vatican II, t. IV des Documents pontificaux de Paul VI, p. 21.
(2) Jn 6, 55.
(3) Jn 17, 23.
(4) Encycl. Marie caritatis ; Acta Leonis XIII, XXII, 1902-1903, p. 122.
(5) In Matth. Hom. 82, 4 ; PG, 58, 743.
(6) Sum. Theol., P. III, q. 75, a. 1 c.
(7) Deuxième strophe du chant Adoro te : Visus, tactus, gestus, in te fallitur ; – Sed auditu solo tuto creditur. – Credo quidquid dixit Dei Filius ; – Nil hoc Verbo veritatis verius.
(8) In IV Sent., D. 4, q. 1, a. 2 ; Opera omnia, V, 418.
(9) Jn 6, 61-69.
(10) Saint Augustin, Contra Iulianum, VI, 5, 11 ; PL, 44, 829.
(11) De civit. Dei, X, 23 ; PL, 41, 300.
(12) Const. dogm. sur la foi catholique, chap. 4 (Denz. 1800 ; Dumeige, La foi catholique, 103 et 453).
(13) Cf. Concile de Trente, Doctrine sur le saint sacrifice de la messe, chap. 1 (Denz. 938 ; Dumeige 766).
(14) Ex 24, 8.
(15) Lc 22, 19-20 ; cf. Mt 26, 26-29 ; Mc 12, 22-24.
(16) Ac 2, 42
(17) Ac 4, 32.
(18) 1 Cor 10, 16 et 21.
(19) Mal 1, 11.
(20) Concile de Trente, Doctrine sur le saint sacrifice de la messe, chap. 2 (Denz. 940 ; Dumeige 768).
(21) Catéchèse 23 (myst. 5) 8-18 ; PG, 33, 1115-1118.
(22) Cf. Conf. IX, 12, 32 ; PL, 32, 777 ; cf. ibid. IX, 11, 27 ; PL, 32, 775.
(23) Cf. Serm. 172, 2 ; PL, 38, 936 ; De cura gerenda pro mortuis, 13 ; PL, 40, 593.
(24) Cf. Saint Augustin, De civit. Dei, X, 6 ; PL, 41, 284.
(25) Cf. Encycl. Mediator Dei, AAS, XXXIX, 1947, p. 552 ; Documents pontificaux 1947, p. 353.
(26) Cf. Const. Dogm. De Ecclesia, chap. 2, n. 11, AAS, LVII, 1965, p. 15 ; Concile Vatican II, t. IV des Documents pontificaux, p. 61.
(27) Ibidem, chap. 2, n. 10, AAS, LVII, 1965, p. 14 ; Documents pontificaux, t. IV, p. 60.
(28) Const. De sacra Liturgia, chap. 1, n. 27, AAS, LVI, 1964, p. 107 ; Documents pontificaux, t. IV, p. 16.
(29) Pontifical Romain.
(30) Cf. chap. 1, n. 7 ; AAS, LVI, 1964, p. 100-101 ; Documents pontificaux, t. IV, p. 10.
(31) Saint Augustin, In Ps 85, 1 ; PL, 37, 1081.
(32) Mt 18, 20.
(33) Mt 25, 40.
(34) Ep 3, 17.
(35) Rm 5, 5.
(36) Saint Augustin, Contra Litt. Petiliani, III, 10, 11 ; PL, 43, 353.
(37) Saint Augustin, In Ps 86, 3 ; PL, 37, 1102.
(38) In Ep. II ad Timoth., Hom. 2, 4 ; PG, 62, 612.
(39) Gilles de Rome, Theoremata de Corpore Christi, theor. 50, Venise 1521, p. 127.
(40) Sum. Theol., P. III, q. 73, a. 3 c.
(41) Cf. Concile de Trente, Décret sur la très sainte Eucharistie, chap. 3 (Denz. 876 ; Dumeige 738).
(42) Pie XII, Encycl. Humani generis, AAS, XLII, 1950, p. 578 ; Documents pontificaux 1950, p. 300 et ss.
(43) Décret sur la très sainte Eucharistie, préambule et chap. 23 (Dumeige 734).
(44) Didaché, 9, 1 ; F. X. Funk, Patres apostolici, 1, 20.
(45) Epist ad Magnum 6 ; PL, 3, 1189.
(46) 1 Co 10, 17.
(47) Saint Ignace martyr, Ep. Ad Smyrn., 7, 1 ; PG, 5, 714.
(48) In Matth. Comm., c. 26 ; PG, 66, 714.
(49) Décret sur la très sainte Eucharistie, chap. 1 (Denz. 874 ; Dumeige 735).
(50) Cf. Encycl. Mirae caritatis, Acta Leonis XIII, XXII, 1902-1903, p. 123.
(51) Cf. Concile de Trente, Décret sur la très sainte Eucharistie, chap. 4 et can. 2 (Denz. 877 et 884 ; Dumeige 739 et 746).
(52) Catéchèse 22, 9 (myst. 4) ; PG, 33, 1103.
(53) De prodit. Iudae, Hom. 1, 6 ; PG, 49, 380 ; cf. In Matth., Hom. 82, 5 ; PG, 58, 744.
(54) In Matth. 26, 27 ; PG, 72, 451.
(55) De myst. 9, 50-52 ; PL, 16, 422-424.
(56) Mansi, Coll. ampliss. Concil. 20, 524 D (Denz. 355 ; Dumeige 726).
(57) Const. apost. Auctorem fidei, 28 août 1794 (cf. Denz. 1529).
(58) Discours au Congrès international de pastorale liturgique, 22 septembre 1956, AAS, XLVIII, 1956, p. 720 ; Documents pontificaux 1956, p. 558-560.
(59) AAS, LVII, 1965, p. 588-592, cf. p. 309-315.
(60) In Ps 98, 9 ; PL, 37, 1264.
(61) Trad. Apost. ; éd. Botte, La Tradition apostolique de saint Hippolyte, Münster 1963, p. 84.
(62) In Exod. fragm. ; PG, 12, 391.
(63) De spectaculis ; C. S. E. L. III, p. 8.
(64) Epist. ad Calosyrium ; PG, 76, 1075.
(65) Cf. Saint Basile, Ep. 93 ; PG, 32, 483-486.
(66) In Io. Tract. 26, 13 ; PL, 35, 1613.
(67) Decr. S. Congr. Concil., 20 déc. 1905, approuvé par saint Pie X : AAS, XXXIII, 1905, p. 401.
(68) Jn 1, 14.
(69) Col 3, 3.
(70) 1 Co 8, 6.
(71) Cf. Saint Augustin, De gen. ad litt. XI, 15, 20 ; PL, 34, 437.
(72) 1 Co 1, 10.
(73) Lc 1, 78.
(74) Jn 6, 48 et ss.
(75) Mt 6, 11.
(76) 1 R 19, 8.
(77) Ps 77, 25.
(78) Décret sur la très sainte Eucharistie, chap. 8 (Denz. 882 ; Dumeige 744).
(79) Jn 17, 20-21.
(80) 1 Co 10, 17.
(81) Code de droit canonique, can. 801.
(82) Saint Ignace, Epist. ad Philad. 4 ; PG, 5, 700.